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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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chevaux sur le sol humide et ce bruit cadencé lui donne l’impression d’entendre battre son cœur. Il pourrait débiter à Sauveterre les reparties qu’il a sur le bout de la langue et dont on use en bonne compagnie pour demeurer à la surface des choses, par exemple une badinerie de ce genre : « Personne n’a jamais réussi à naître archevêque, même le fils d’un empereur », mais il ne serait pas sincère. La réflexion du valet ressemble à une vérité qui lui fait plaisir et l’inquiète en même temps. Il se sent deviné : « Ce diable d’homme me connaît mieux que moi-même. D’où détient-il ce pouvoir ? Son assurance et son langage ne sont pas de sa condition. » Angelo hésite à parler. Il éprouve une timidité bizarre, regarde au bout de la route, entre les arbres, la première lueur du jour et préfère changer de conversation.
    — Le duc d’Orléans a la petite vérole. Tu le savais ?
    — Oui, Monseigneur.
    — Tu sais donc pour quelle raison le roi m’envoie à Lignières ?
    — Oui.
    À la manière dont Sauveterre vient de prononcer le : « oui », sans ajouter : « Monseigneur », Angelo comprend que son compagnon de route n’a pas l’intention d’en dire plus, ni de répondre volontiers à d’autres questions. Un peu agacé, il se pique au jeu et demande :
    — As-tu déjà rencontré la duchesse ?
    — Oui.
    — Le roi redoute pour elle la contagion.
    — Jeanne de France ne craint rien. Dieu l’accompagne.
    Sauveterre a dit cela sur un ton fier, comme s’il prenait la défense d’une personne chère. « Tiens, se dit Angelo en réprimant une secousse sur les rênes, voilà du nouveau ! Je connaissais de réputation la piété de Jeanne, mais j’ignorais que notre ami taciturne avait l’âme d’un confesseur. Une découverte, en somme. » Il choisit de garder le silence. Les petits cris des oiseaux qui s’éveillent au bord du Cher le distraient, ainsi que le premier rayon de soleil qui filtre entre les branches des tilleuls. Il se demande pourquoi il a répondu : « Moi aussi » quand Sauveterre lui a dit qu’il aimait bien la nuit. Il n’a pas conscience d’avoir menti, car il lui plaît de se promener dans l’obscurité, mais c’est le matin qu’il préfère, le moment où l’ombre bat en retraite, où le pas des chevaux devient une avancée vers la lumière, où le cavalier se redresse sur la selle comme un jeune homme. Il songe à son père qui, dès l’aurore, avant de labourer la terre aride de Campanie, frottait ses mains calleuses pour les aiguiser, en faire deux outils tout neufs. Il trouve que la brise d’avril qui réveille les feuilles tendres sent la pomme de reinette et, soudain, sans motif, il découvre qu’il est content de chevaucher à côté de Sauveterre. Il regrette de ne rien savoir sur lui et souhaiterait plus de familiarité entre eux. Il se donne un ton gaillard pour dire tout à trac :
    — Je suis né en Italie, à Supino, près de Bénévent. Un tout petit village. Et toi ?
    — Moi ?
    — Oui, toi. À mon avis, tu as dû naître en Touraine ou dans le Berry.
    — Peut-être.
    Angelo Cato pourrait se fâcher. Il n’est pas accoutumé à des réponses impertinentes, surtout depuis qu’il va recevoir la mitre. Cependant, il ne se fâche pas. Une sage résignation l’en empêche. Il pense qu’avec un tel compagnon, on doit s’attendre à des réactions anormales. Aussi décide-t-il sans amertume de ne plus desserrer les lèvres jusqu’à Lignières.
     
    Depuis que Louis d’Orléans, désormais hors de danger, a accepté de se rétablir à Lignières, Jeanne de France connaît le miracle d’être heureuse. Dans ce château devenu son ermitage, où elle a pris l’habitude, à dix-neuf ans, de vivre en moniale, la convalescence de son mari occupe, maintenant, toute la place. Le duc couche seul dans la chambre conjugale, mais sa présence masculine traverse les cloisons, se répand de pièce en pièce et d’étage en étage. Les soins que nécessite son état donnent à Jeanne l’occasion de le toucher et l’illusion éphémère de former un couple. L’émotion d’habiter sous le même toit lui rappelle à chaque instant qu’il est son époux devant Dieu. Alors, en toute innocence, elle veille sur lui et renvoie les domestiques afin de le garder pour elle dans la chambre.
    À Bourges, il a failli

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