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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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mourir, mais elle est arrivée à temps pour le sauver, d’abord en le confiant à son médecin personnel, Étienne Alibert, qui a déjà traité avec succès la petite vérole, ensuite en priant la Vierge Marie qui l’a entendue. C’est tout de même un miracle qu’elle soit heureuse, car, à Bourges, il a refusé de la voir, puis comme en désespoir de cause elle forçait sa porte, il l’a insultée, lui a craché à la figure ces mots odieux, indignes d’un prince : « Allez-vous-en ! Vous me faites horreur ! » En dépit de son humiliation et de sa bosse, elle a réussi à se tenir droite, à ne pas verser une larme et à demeurer à son chevet. « Vous souffrez, mon ami. Aussi permettez-moi de ne pas vous obéir. Je reste », a-t-elle dit avec douceur sans baisser les yeux. Il tremblait de fièvre et son visage congestionné, poissé de sueur, couvert de boutons, offrait un spectacle hideux qui, loin de repousser Jeanne, l’encourageait à se rapprocher, à mettre sa propre laideur en communion avec la sienne, à signifier par le regard : « Je vous comprends, mon ami. C’est affreux de faire horreur à ses proches. » Le duc a connu, dès lors, une période critique qui a duré huit jours et durant laquelle Étienne Alibert a perdu à maintes reprises l’espoir de le guérir. Puis la fièvre a baissé tandis que les brûlures causées par les boutons s’apaisaient. Alors, les invectives du malade à l’adresse de Jeanne sont devenues moins agressives. Un matin, comme elle lui prenait la main, il ne l’a pas retirée et s’est contenté de serrer les dents pour retenir un sourire. Le 7 avril, lorsqu’il a résolu de quitter Bourges pour achever sa convalescence à Lignières – c’était ce qu’elle lui conseillait de faire depuis trois jours –, elle a su dissimuler sa victoire, la tête basse, et a fait comme si la décision ne venait que de lui : « Je pense que vous avez raison, a-t-elle dit avec soumission. Je vais tout de même prier pour que Dieu vous aide à ne pas le regretter. »
    Elle sourit en évoquant la malice de cette réplique, se réjouit, pour la première fois, d’être une femme et se demande si Dieu ne lui prête pas un grain de folie pour s’amuser d’elle et la mettre à l’épreuve. Jusqu’à présent, elle n’a trouvé de sérénité et de joie que dans la solitude d’un oratoire, après avoir fait sien le verset de saint Matthieu que lui a lu le père Lafontaine : « Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter. » Elle a toujours choisi et compté ses mots en s’adressant au Christ ou à la Vierge Marie et cette économie du verbe a resserré sa confiance, vivifié sa foi. Aujourd’hui, l’émotion profane qu’elle découvre ne saurait l’intimider ni lui faire honte, car elle sait que son mari ne l’aime pas et ne l’aimera probablement jamais. C’est une vérité dont elle souffre mais qu’elle admet : « Il me suffit de le connaître en vie. Pour l’instant, je profite de sa présence dans ma maison et je respire avec ferveur, avec tendresse, le même air que lui. Je ne ferai rien pour le retenir. Un homme ne se doit qu’à sa conscience et celle-ci n’appartient qu’à Dieu. »
    Elle a une autre raison d’être heureuse : la visite, hier, de Sauveterre et d’Angelo Cato envoyés par le roi. « Mon père pense à moi. Cela ne m’étonne pas. Un homme comme lui n’a pas besoin de rencontrer les gens et de leur parler pour être avec eux. Mon père ne m’a jamais quittée, le roi de France non plus. Ses soucis que je ne connais pas mais que je pressens sont les miens. Chaque fois que je prie pour lui, je suis persuadée qu’il m’entend. Dieu nous écoute tous les deux. »
    Angelo Cato ne lui a donné que de bonnes nouvelles : « Sa Majesté va mieux. Elle réussit à faire rire tous ceux qui s’inquiètent à son sujet. Pierre de Beaujeu la tient pour éternelle. Votre sœur Anne fait l’admiration de tous. Les hommes envient son autorité et les femmes jalousent son charme. Quant à votre frère Charles que je n’ai pas eu l’honneur de revoir, il se porte à merveille, m’a-t-on dit, et donne à son gouverneur, Jean Bourré, de grands espoirs. »
    Puis, le médecin du roi, avec une souplesse d’archevêque, lui a conseillé de

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