Le dernier templier

son mouton ; un bûcheron chargé de bois, ployant sous son haut et lourd fardeau ; une paire de boeufs tirant une charrue archaïque dans le soleil couchant...
    De temps en temps, Tess se laissait emporter par son excitation quand elle constatait que les extraits du journal d’al— Idrisi correspondaient à la route qu’ils suivaient.
    La lumière commençait à décliner et les phares du 4 x 4 aidaient à repérer la route. Celle-ci n’était plus qu’un étroit chemin parsemé de roches.
    — Je pense que nous devrions nous arrêter pour aujourd’hui, annonça Reilly.
    Tess consulta sa carte.
    — On ne peut pas être loin. Je dirais que nous sommes à trente ou quarante kilomètres.
    — Peut-être. Mais il fait de plus en plus sombre et je ne voudrais pas heurter un rocher et casser un essieu.
    Elle était impatiente d’atteindre leur destination, mais, alors qu’il garait le 4 x 4 sur une portion de sol relativement plate, elle dut admettre qu’il avait raison. Même un simple pneu crevé serait une catastrophe.
    Ils sortirent de la voiture et regardèrent le paysage qui se déroulait au-dessous d’eux. Les ultimes feux du couchant s’évanouissaient derrière des volutes de nuages rose-gris. Au-dessus de leur tête, le croissant de la lune semblait presque proche. Les montagnes étaient tranquilles et désertes, enveloppées dans un silence déconcertant auquel l’agent du FBI n’était pas accoutumé.
    — Il n’y a pas de ville à proximité que nous pourrions gagner ?
    Elle consulta de nouveau sa carte.
    — Rien de proche. La dernière se trouve à environ dix kilomètres derrière nous.
    Reilly fit une rapide évaluation visuelle des points faibles du secteur et décida qu’il était aussi bon qu’un autre pour un bivouac. Il se dirigea vers la portière arrière du tout-terrain.
    — Voyons ce que notre ami d’Istanbul nous a déniché.
    Pendant que Reilly s’occupait d’assembler les piquets d’aluminium des deux tentes et de les installer, Tess s’était chargée d’allumer un feu. Ils purent bientôt se jeter, affamés, sur les provisions qu’Ertugrul leur avait procurées. Ils se délectèrent de saucisses basterma et de boreks au kasseri arrosés d’eau minérale.
    L’Américain vit les yeux de Tess rayonner de plaisir en ouvrant un petit carton dont elle sortit une boulette de lokma. Les doigts dégoulinants de sirop, elle n’en fit qu’une bouchée.
    — Votre ami local est un don du ciel, parvint-elle à dire avant d’en enfourner une autre. Goûtez-les, elles sont délicieuses. Je n’ai pas pu en manger autant que j’aurais voulu la dernière fois que je suis venue. Ma grossesse ne facilitait pas les choses à l’époque. Je n’avais pas besoin de kilos supplémentaires.
    — Et qu’est-ce qui a amené Vance ici ? demanda-t-il en se servant.
    — Mon père travaillait sur un chantier de fouilles pas très éloigné de l’« anomalie de l’Ararat ». Vance brûlait d’y jeter un coup d’oeil et mon père l’a invité.
    Tess expliqua comment, en 1949, un avion-espion U2 de retour d’un vol de reconnaissance sur l’Union soviétique avait survolé la Turquie et pris des photos qui laisseraient perplexes les analystes photographiques de la CIA pendant des années. L’information avait fini par filtrer et, à la fin des années 1990, les photos avaient été diffusées, faisant sensation. Sur le flanc d’une montagne, non loin du sommet, on distinguait quelque chose qui ressemblait à un navire. Les gros plans avaient révélé ce qui était apparu comme trois immenses poutres de bois courbes, évoquant une partie de la coque d’un grand vaisseau.
    — L’arche de Noé, dit Reilly en se remémorant vaguement les gros titres de la presse.
    — Beaucoup ont été fascinés par cette découverte, mon père compris. Le problème, c’était que, malgré le dégel de la guerre froide, la zone restait très sensible. La montagne était à moins de vingt kilomètres de la frontière russe, moins de trente de l’Iran. Quelques personnes ont reçu une autorisation et tenté de grimper pour voir ce que c’était. James Irwin, l’astronaute, était l’un d’eux. Il a marché sur la Lune et, plus tard, il s’est converti au christianisme, dont il est devenu un fervent adepte. Il a essayé de monter pour voir de plus près cette fameuse anomalie.
    — Qu’est-ce que vous en pensez ? Que c’est l’arche de Noé ?
    — L’opinion générale