Le dernier vol du faucon
désormais pratiquement vide.
Elle l'était toujours quand, un peu plus tard dans la matinée, la barque de Sorasak accosta au ponton privé de Phaulkon. Tout semblait étrangement désert. Sorasak fit ôter les liens de Sunida et lui ordonna de rédiger un mot demandant à son maître de venir la rejoindre d'urgence sur le quai. Il envoya un de ses hommes porter le message, puis enchaîna de nouveau la jeune femme en veillant à ce que son bâillon soit bien en place. Après quoi, il la fit de nouveau enfermer dans la cale et attendit la réponse de Phaulkon.
39
Profondément découragé, Anek traversa la cour intérieure de la résidence de Phaulkon. Il n'avait pu retrouver le capitaine des gardes qu'à la fin de l'après-midi et celui-ci, tête basse, l'avait informé que tous ses hommes avaient déserté. Certes, la distribution des pièces d'or les avait incités à prendre du bon temps mais leur désertion avait aussi un autre motif: la rumeur persistante d'une guerre imminente courait un peu partout. On racontait que tout Siamois fraternisant avec un farang serait considéré comme traître et exécuté. Le capitaine avait assisté en personne à l'arrestation de convertis. En ces temps troublés et compte tenu de l 'absence du Barcalon, il jugeait bon lui-même de présenter à regret sa démission.
Si seulement je n'avais pas distribué l'or! se lamentait Anek. Mais le pire était encore devant lui. Plongé dans ses pensées, il n'avait pas remarqué l'absence d'activité dans les jardins et les cours. Constatant soudain que tout semblait désert, il pénétra dans la maison, le cœur battant. Aucune torche n'avait été allumée et l'obscurité était totale. Que diable se passait-il donc? Et où donc étaient passés les serviteurs? Il n'avait pourtant été absent que quelques heures.
Une atmosphère oppressante pesait sur la maison et il réprima un frisson.
«Il y a quelqu'un?» cria-t-il, effrayé par le son de sa propre voix.
Rassemblant son courage, il appela à nouveau, mais la question demeura sans réponse. S'il était seul dans cette énorme demeure obscure, mieux valait aller chercher des bougies. Comment un endroit d'ordinaire si animé pouvait-il devenir en quelques heures aussi menaçant? On aurait dit que chaque coin d'ombre recelait quelque terrifiant secret.
Anek s'acheminait en direction des cuisines où il savait devoir trouver des bougies quand un cri terrible retentit soudain. Il s'arrêta net et sentit ses poils se hérisser sur sa nuque. C'était une voix de femme qui semblait provenir de l'arrière de la maison.
Il hésita. Devait-il se précipiter dans cette direction ou aller d'abord chercher de la lumière? Il opta pour cette seconde solution et se dirigeait vers la cuisine quand il buta sur quelque chose et tomba face contre terre. Que pouvait-il y avoir dans ce passage qui n'avait jamais été meublé? Un terrible pressentiment l'envahit tandis qu'il explorait à tâtons le sol autour de lui. Ses pires craintes furent confirmées lorsque ses doigts entrèrent en contact avec un nez, puis un œil grand ouvert. Apeuré, il retira vivement sa main et prêta l'oreille, guettant une autre respiration, mais il n'entendit que les battements de son cœur. Oh, Seigneur Bouddha, pensa-t-il, désespéré, sauvez-nous!
Péniblement, il se redressa et reprit la direction de la cuisine quand un autre cri perçant déchira l'air, provenant du quartier des domestiques. Cette fois, il distingua les mots: «Au secours, maître! Aidez-moi je vous en prie ! »
Il resta figé sur place. «Maître?» On aurait dit une voix de femme... Qui cela pouvait-il être? A la pensée de son maître et de tout ce qu'il lui devait, Anek n'hésita plus. Marchant sans bruit sur ses pieds nus, il gagna la cuisine et trouva une bougie qu'il alluma. Il en glissa une autre en réserve dans son panung, en même temps qu'un grand couteau de cuisine.
Animé d'un sombre pressentiment, il retourna sur ses pas et se pencha sur le corps inanimé en protégeant d'une main la flamme de la bougie. Il ne connaissait que trop bien cette livrée. Tremblant, il éclaira le visage sans vie de Sarit, le vieux majordome, resté fidèle jusqu'au bout. On lui avait brisé le cou.
Qui pouvait lui avoir fait cela? Pour l'or peut-être? Il avait donné au vieil homme la plus grosse des pièces en raison de ses longs services. Il palpa le corps et trouva presque aussitôt la pièce dans une petite poche intérieure. Ce
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