Le dernier vol du faucon
seuls les mots essentiels soient compréhensibles.
« Il parle un dialecte encore plus mauvais que l 'autre, déclara finalement le moine en regardant ses compagnons. Nous devrions le conduire à Phra Panya. Ils se comprendront. »
Les autres moines acquiescèrent. Cela ne coïncidait pas avec les plans de Phaulkon, mais quand il eut appris que le village où vivait cet autre Laotien se trouvait précisément dans la direction d'Ayuthia, il décida de ne pas repousser l'invitation. De toute façon, il n'avait guère d'autre choix.
Il s'efforça de voir le bon côté des choses. Au moins, les trois religieux connaissaient le chemin et, s'il veillait à s'exprimer avec cet affreux accent, ils ne tarderaient pas à garder le silence. Il apprit que le village en question se trouvait à six heures de marche et qu'ils ne l'atteindraient pas avant midi. Cela lui laissait six bonnes heures pour trouver une excuse afin de pouvoir leur fausser compagnie dès leur arrivée.
Comme il l'avait prévu, ils cheminèrent en silence et sans incidents. Ayuthia se trouvait encore à cinq bons jours de marche et il en faudrait trois fois plus pour Bangkok. Un trajet beaucoup trop long, jugea Phaulkon.
Ils firent de courtes haltes dans les deux villages qu'ils traversèrent et il se joignit aux autres pour donner sa bénédiction aux villageois. Partout, il soulevait la même curiosité et commençait à s'y habituer, sachant qu'il lui faudrait assumer ce rôle plusieurs jours encore. La contrée était paisible et idyllique, et les paysages si variés qu'on aurait dit qu'ils semblaient rivaliser de beauté: les rizières succédaient aux bananiers, les forêts de palmiers aux arbres à pluie tandis que partout une verdure luxuriante couvrait la terre de ses profondeurs bruissantes.
La chaleur était intense en ce milieu de matinée et, dans le premier village qu'ils traversèrent, l'un des moines insista pour donner à Phaulkon une ombrelle afin qu'il se protège du soleil brûlant - ce qu'il accepta avec reconnaissance. Il se souvint alors pourquoi il aimait tant ce pays, peuplé de gens hospitaliers, généreux et souriants, un peu comme des enfants, toujours prêts à rire et à s'amuser. Peut-être cette éternelle gaieté venait-elle de leur foi en la réincarnation, leur vie présente n'étant qu'un tout petit segment dans le long chemin de destinées qui les attendait. Alors pourquoi ne pas en profiter pour accomplir de bonnes actions et s'assurer des mérites pour leur existence prochaine? Il n'y avait pas d'assassins dans ces paisibles régions, même pas dans les villes, songea Phaulkon, et les vols étaient rares. Le monde avait bien des choses à apprendre du Siam.
Plus il songeait à ce pays et plus il était déterminé à restaurer la situation primitive. Il ne fallait pas laisser Petraja et ses sbires usurper le pouvoir et isoler le Siam du reste de la terre.
À l'aube de ce même jour, Anek rassembla les gardes de son maître et les principaux serviteurs de sa maisonnée. Il partagea entre eux la moitié des pièces d'or qu'il avait reçues, geste accueilli avec des murmures de satisfaction et de surprise devant l'importance du don. Certains demandèrent même si cela signifiait que leur maître était parti pour toujours.
«Je n'en sais rien, répondit Anek avec sincérité, mais je vous demande à tous de rester ici et de continuer votre service comme avant. »
Ils échangèrent des regards et se dispersèrent pour se mettre aussitôt à parler entre eux avec animation.
Les gardes de Phaulkon furent les premiers à s'absenter sans prévenir. Ils allèrent tranquillement en
ville pour s'offrir quelques plaisirs grâce à leur récente richesse. Quand Anek fut informé de leur disparition, il partit immédiatement à leur recherche, soucieux de remplir la mission confiée par son maître : protéger Sunida et son enfant.
Les serviteurs remarquèrent son absence et conclurent qu'il était parti avec les autres dépenser son argent. Un danger menaçait-il la maison ? se demandèrent-ils, alarmés. Si les hommes de Petraja attaquaient, n'allaient-ils pas leur prendre leurs pièces d'or? Ce n'était pas prudent de rester.
Au cours des deux heures suivantes, tandis qu'Anek parcourait la ville à la recherche des vingt gardes, tous les domestiques, à l'exception de quelques-uns, avaient fait leurs bagages et disparu. Au milieu de la matinée, la vaste demeure qui d'habitude bourdonnait d'activité était
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