Le dernier vol du faucon
n'était donc pas un voleur qui l'avait attaqué.
Il jeta un dernier regard au visage du vieil homme sur lequel on lisait la surprise. Puis il prit la pièce en jurant que, s'il survivait, il ferait à son ami des funérailles dignes d'un mandarin.
Vivement, il se dirigea vers les quartiers des domestiques et ralentit prudemment le pas en approchant. Les lieux lui étaient familiers. D'ordinaire, deux cents personnes vivaient ici mais, aujourd'hui, tout était désert et plongé dans un silence inquiétant. En tour-nant dans un couloir, il s'arrêta net. Une lueur tremblotante filtrait devant lui sous le panneau d'une porte.
Son cœur s'accéléra. Tirant le couteau de sa ceinture, il s'avança sur la pointe des pieds pour poser son oreille contre le panneau. Il ne perçut qu'une sourde plainte et un sanglot étouffé.
Serrant fortement le manche de son couteau, Anek donna un vigoureux coup de pied dans la porte qui résista. Il se recula et se précipita sur elle de tout son poids. Cette fois, elle s'ouvrit toute grande et son élan le projeta à l'intérieur de la pièce. L'instant d'après, une poigne de fer s'abattait sur lui, une main pressant sa bouche, l'autre lui ramenant le bras en arrière.
Il laissa tomber le couteau et une voix lui murmura à l'oreille : « Si tu résistes, je te casse le bras et si tu dis des mensonges, je t'enfonce les yeux... comme ça!» La main se déplaça vers ses orbites et un pouce s'y enfonça cruellement, lui arrachant un cri. La douleur était si terrible qu'Anek, au supplice, se demanda s'il reverrait jamais le jour.
«Maintenant, dis-moi où se trouve Vichaiyen», demanda la voix.
Anek réfléchit rapidement car la pression sur son œil augmentait à chaque seconde. Il devait aider son maître et, pour cela, rester en vie. La souffrance devint si intolérable qu'il se convulsa en battant l'air frénétiquement de sa main libre. «Pas l'œil! pas l'œil!» hurla-t-il. Il ne pourrait aider son maître s'il était aveugle.
«Alors, dis-moi où est Vichaiyen.
- Parti pour Bangkok. »
La pression se relâcha un peu pour le récompenser.
« Quand ?
- La nuit dernière.
- De quelle manière?
- Par le fleuve. Il n'y a pas d'autre moyen. »
Il reçut un coup violent sur la tête. «Ne te moque pas de moi. Le fleuve est surveillé. Maintenant, écoute-moi bien. Je suis deux fois plus fort que toi et je peux
te tuer ou te laisser en vie. Ça dépend de toi. Que choisis-tu ?
- Je veux vivre.
- Bien. Mais si tu me trompes, je t'écraserai comme un insecte. Maintenant, tu vas te retourner et nous allons avoir une gentille petite conversation. »
Son bras fut libéré. Anek se retourna nerveusement et resta figé de surprise. Il avait devant lui un homme massif au visage carré: derrière lui gisait une femme, pieds et poings liés, bâillonnée. Elle était blottie contre le mur, une expression de terreur dans les yeux. Il lui semblait la reconnaître mais n'en était pas sûr.
«Comment t'appelles-tu? demanda Sorasak.
- Anek, monsieur.
- As-tu déjà rencontré Sunida?
- Non, monsieur. »
Miséricorde ! Était-ce cette dame qu'il avait juré de protéger ?
« Alors, je vais te la présenter. »
Sorasak se pencha et ôta le bâillon de la bouche de la jeune femme qui aspira avidement l'air.
«Tu prétends ne l'avoir jamais vue jusqu'ici ? répéta Sorasak.
- Non, monsieur, jamais.
- Mais tu as sans doute entendu parler d'elle?»
Que répondre? songea Anek, affolé. La femme
paraissait en très mauvais état. De fragile constitution, sa peau sombre était couverte de meurtrissures. Il frémit à la pensée des sévices que la malheureuse avait dû subir.
Sorasak approcha son visage tout contre celui d'Anek et insista en lui souillant dessus sa mauvaise haleine.
«Je t'ai demandé si tu avais entendu parler d'elle.
- Oui... oui... monsieur. J'ai entendu parler d'elle, mais je ne l'ai jamais vue. Je... je devais lui remettre un message confié par mon maître.
- Comment comptais-tu le lui remettre si tu ne la connais pas?
- Il a dit... qu'elle se ferait connaître, monsieur.»
Sorasak se tourna vers la jeune femme et lui donna un coup de pied.
«Fais-toi connaître! ordonna-t-il.
- Je m'appelle Sunida», répondit-elle d'une voix tremblante.
Une lueur de plaisir traversa le regard de Sorasak. «Ton maître l'aime beaucoup, hein?»
Anek frissonna. «Je... je crois, monsieur.
- Bien. »
Sorasak saisit Anek par le menton et cracha : «
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