Le dernier vol du faucon
mais les Indiens les rattrapèrent et leur passèrent leur lame à travers le corps. En quelques minutes, neuf des gardes de Sorasak et un seul Indien étaient étendus sur le quai, morts ou agonisants.
Mark et Nellie avaient assisté au combat de la barque et Nellie avait eu bien du mal à empêcher son fils de se joindre à la bagarre. Comme la lutte touchait à sa fin, les rameurs siamois, peu désireux d'être mêlés à ces événements, les obligèrent à mettre pied à terre.
Ivatt se précipita au bord du quai en les invectivant, mais c'était trop tard. Le bateau s'éloigna, les abandonnant sans espoir de retraite. Il ne leur restait plus qu'à tenter de gagner la maison de Phaulkon en espérant que tout se passerait bien.
Le géant tamoul se campa devant eux, tenant par la peau du cou un des hommes de Sorasak encore en vie qui agitait désespérément les jambes dans le vide. Le géant le déposa devant Ivatt. «Voulez-vous que je vous aide à l'interroger, maître?» lui demanda-t-il dans le dialecte de Madras avec lequel Ivatt avait eu le temps de se familiariser lors de son séjour en Inde.
«Entendu», soupira-t-il.
De telles méthodes lui donnaient la nausée mais elles seules donnaient des résultats, et il avait besoin de l'information. Il traduisit en siamois le discours menaçant que le Tamoul adressait à son prisonnier: «Tu as deux oreilles, deux yeux, deux mains, deux pieds et deux testicules. Les dieux ont été généreux car tu pourrais faire avec un seul de chaque. C'est ce qui t'arrivera si tu ne réponds pas à mes questions. »
Le géant pointa son kriss près du testicule droit du garde qui roulait des yeux terrorisés. «Qui est ton maître? demanda-t-il.
- Lu-Luang Sorasak.
- Et où est le seigneur Vichaiyen ? »
Ivatt traduisit la question et le garde désigna le fleuve d'un doigt tremblant.
«La barque de Luang Sorasak est partie à sa recherche.
- Est-il en fuite?
- Oui, Puissant Seigneur.
- Ton maître est-il parti aussi avec la barque ? »
Le garde hésita. S'il disait la vérité, son maître le
tuerait certainement. Il avait peut-être une chance d'y échapper. «Oui, Puissant Seigneur.»
Ivatt avait remarqué l'hésitation de l'homme et décida de laisser les choses aller. Il dit au géant de tuer le garde proprement, ce qu'il fit en lui brisant la nuque avant de jeter son corps dans le fleuve où les cadavres de ses camarades vinrent bientôt le rejoindre. Le quai était plein de sang et parsemé de membres coupés. Nellie détourna les yeux, près de défaillir devant ce carnage. Il leur faudrait nettoyer la place avant le retour de la barque de Sorasak s'ils trouvaient quelque part des balais et des seaux d'eau.
Ivatt s'avança prudemment vers la maison avec quatre Indiens tandis que les sept autres entourant Nellie et Mark suivaient à quelque distance. Il réfléchit qu'avec Sorasak à l'intérieur, Phaulkon pouvait s'être retranché dans son abri secret sous la salle à manger où il gardait des vêtements et de la nourriture de réserve en prévision d'un long séjour. Sachant qu'en dehors de lui seules une ou deux personnes de confiance connaissaient l'existence de cette cachette, il eut l'idée d'y mettre Nellie et Mark en sécurité pendant qu'il irait tâter le terrain. Mark insisterait certainement pour participer aux opérations, mais il avait laissé entendre clairement au garçon, à Bangkok, que s'il voulait venir avec lui à Louvo, il devait obéir à ses ordres.
Depuis l'embarcadère, le chemin traversait de superbes jardins peuplés de bassins couverts de fleurs de lotus et de haies sculptées, débouchant ensuite sur une cour intérieure circulaire occupée par un majes-
tueux palmier-éventail. Les portes aux vantaux de teck qui se dressaient devant eux se trouvaient sur l'arrière. L'entrée principale était de l'autre côté, sur le devant, face aux murailles massives du Palais royal.
Ivatt s'étonna de trouver les lieux déserts. Il les avait toujours vus fourmillant de serviteurs et d'esclaves. Où était passée l'imposante domesticité de Phaulkon? Il n'y avait même pas un jardinier en vue.
Il continuait d'avancer prudemment en jetant des regards de tous côtés. En pénétrant dans la cour arrière, il remarqua qu'un des panneaux de la porte d'entrée était entrouvert, comme si quelqu'un venait de passer par là. Il prêta l'oreille mais n'entendit aucun bruit. Alors, pas à pas, il s'avança le dos collé au mur et,
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