Le discours d’un roi
récitals de Logue attiraient un public nombreux et enthousiaste. « L’annonce d’un récital de M. Lionel Logue a suffi à remplir aisément St. George’s Hall hier soir, et ceux qui étaient présents furent amplement récompensés d’avoir eu le courage de se hasarder dehors par une soirée pluvieuse », disait un critique en août 1914, qui le décrivait comme « un maître de l’art subtil de l’élocution dans toutes ses branches ».
Logue semble avoir particulièrement séduit les femmes présentes – comme le remarqua un journaliste du quotidien local quand Logue revint à Kalgoorlie pour servir « d’arbitre de l’élocution » à une Eisteddfod V à la galloise qui, à en croire l’article, n’était pas sans rappeler nos modernes émissions de télé-crochet. « M. Lionel Logue, souligna le journaliste, est un fort beau jeune homme, et nombre de jeunes filles de la région aurifère ne furent pas longues à en prendre note. Deux d’entre elles ont suivi les compétitions tous les soirs, et passèrent l’essentiel de leur temps à contempler avec mélancolie la loge de l’arbitre. Il peut être intéressant pour ces jeunes dames de savoir que M. Logue a une ravissante épouse et deux beaux enfants 8 . »
Le travail de Logue avec ses élèves en élocution faisait lui aussi l’objet de louanges. En septembre 1913, lors d’un dîner aux Rose Tea Rooms de Hay Street, à Perth (organisé par le Club d’expression publique, fondé par lui-même cinq ans plus tôt), plusieurs de ses étudiants « témoignèrent de leur appréciation des compétences de ce gentleman et du succès de ses cours », d’après un compte rendu de l’époque. À la grande joie de la vingtaine de convives, un intervenant se demanda si Logue ne souhaiterait pas déployer ses talents considérables pour veiller à ce que le grand nombre de politiciens et autres qui se prétendaient des orateurs cessassent de proférer des absurdités au profit d’un peu plus de sens commun. Logue répondit sur le même ton humoristique et décrivit l’usage de sa langue natale comme « la première preuve de civilisation et de raffinement ».
Aussi confortable qu’ait été leur existence à Perth, le tour du monde de Lionel et Myrtle leur avait ouvert les yeux, et ils semblent s’être peu à peu faits à l’idée de tenter leur chance à l’étranger, peut-être à Londres. Dans l’immédiat, leurs projets avaient été torpillés par la naissance de leur deuxième fils, Valentine Darte, le 1 er novembre 1913. Puis, le 28 juin 1914, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche, dans la lointaine Sarajevo, les contraignit à reporter indéfiniment leurs plans.
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L’Australie, tout autant que la métropole, paya le prix fort de la Première Guerre mondiale. Sur une population de moins de cinq millions d’habitants, 416 809 hommes s’engagèrent, dont plus de 60 000 furent tués et 156 000 blessés, gazés ou faits prisonniers.
Comme en Grande-Bretagne, la déclaration de guerre fut accueillie avec enthousiasme, et si le projet d’imposer la conscription fut rejeté à deux reprises, un grand nombre de jeunes Australiens se porta volontaire. La plupart de ceux qui avaient été acceptés en août 1914 ne furent pas envoyés en Europe, mais en Égypte, pour faire face à la menace que représentait l’Empire ottoman pour les intérêts britanniques au Moyen-Orient et dans le canal de Suez. La première grande campagne à laquelle participa le corps d’armée australien et néo-zélandais, ou ANZAC, fut celle de Gallipoli.
Le 25 avril 1915, les Australiens débarquèrent en un lieu appelé depuis ANZAC Cove, l’Anse de l’ANZAC. Ils établirent une fragile tête de pont sur les pentes abruptes dominant la plage. Une offensive alliée et la contre-offensive turque qui la suivit échouèrent l’une et l’autre, et très vite le conflit entra dans une impasse qui dura pendant toute l’année 1915. Selon les chiffres compilés par le ministère australien des Anciens Combattants, 8 709 Australiens furent tués au total, et 19 441 furent blessés. Gallipoli eut un énorme impact psychologique sur le pays, ébréchant la confiance de l’Australie dans la supériorité de l’Empire britannique. Les soldats de l’ANZAC furent bientôt parés du statut de héros, et leur héroïsme salué par l’ANZAC Day, le Jour de l’ANZAC, célébré depuis tous les 25 avril.
Logue
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