Le discours d’un roi
était alors déjà âgé de trente-quatre ans, et il avait deux fils, ce qui ne l’empêcha pas de se porter volontaire. Sa candidature fut refusée pour des raisons médicales : après sa scolarité, il avait fait une lourde chute en jouant au football et s’était abîmé le genou, mettant fin à toute activité sportive et à tout espoir d’entrer dans l’armée. « Je me suis inscrit dans un club de tir, mais j’ai dû abandonner parce que je ne pouvais pas défiler, expliqua-t-il dans un entretien publié pendant la guerre. Je crains fort que si j’étais soldat, je serais obligé de garder le lit pendant quelques semaines après ma première longue marche, et ne ferais que causer des dépenses inutiles à mon pays. »
S’il échappa aux horreurs de Gallipoli, Logue n’en décida pas moins de participer à l’effort de guerre. Il consacra son énergie à organiser des récitals, des concerts et diverses représentations théâtrales à Perth au profit de la Croix-Rouge, du Fonds d’aide à la France, du Fonds de secours belge et d’autres oeuvres de charité. Les programmes qu’il proposait étaient souvent un curieux mélange de drame et d’humour. Lors d’une représentation du Fremantle Quartette Party en juillet 1915, Logue attaqua par ce qu’un journaliste dépeignit comme une « récitation vivante et enlevée du “Hell-Gate of Soissons VI ” , qui revient avec éclat sur le glorieux martyre de douze hommes du génie britannique qui parvinrent à arrêter l’avance allemande sur Paris en septembre dernier ». Un peu plus tard, il faisait hurler de rire son public avec des « bagatelles délicieusement humoristiques ». Les critiques, comme cette fois, étaient immanquablement dithyrambiques, et il faisait salle comble.
Jusqu’alors, Logue s’était concentré sur l’élocution et le drame, mais il chercha aussi à appliquer certaines de ses connaissances dans le domaine de la voix afin d’aider des soldats souffrant de troubles de l’élocution à la suite d’un stress posttraumatique dû aux pilonnages et aux attaques au gaz. Il remporta quelques succès avec certains d’entre eux, y compris ceux dont le cas avait été jugé désespéré par les hôpitaux. Les réussites de Logue furent rapportées en détail dans un article du West Australian en juillet 1919, sous le titre racoleur « Les muets parlent » .
C’est avec Jack O’Dwyer, ancien soldat de West Leederville, dans les faubourgs de Perth, qu’il aurait remporté son premier succès. Plus tôt cette année-là, Logue, assis à côté d’un militaire dans le train, avait été intrigué quand il l’avait vu se pencher et discuter avec deux de ses compagnons en chuchotant. « M. Logue réfléchit et, juste avant de descendre à Fremantle, il donna sa carte au soldat et lui dit de lui faire signe », écrivit le journal. Il se trouva qu’O’Dwyer avait été gazé à Ypres en août 1917, mais à Londres, on lui avait dit qu’il ne pourrait jamais reparler normalement. À l’hôpital Tidworth, à Salisbury Plain, il avait tenté des traitements par suggestion et par hypnose, en vain. Ainsi, le 10 mars 1919, le malheureux finit par s’adresser à Logue.
Ce dernier était persuadé qu’il pouvait l’aider. Pour ce qu’il en savait, les gaz avaient dû endommager la gorge, le palais et les amygdales, mais pas les cordes vocales – par conséquent, tout n’était pas perdu. Mais à ce stade, ce n’était qu’une théorie. Il lui fallait la mettre en pratique. Au bout d’une semaine, Logue parvint à obtenir une vibration dans les cordes vocales d’O’Dwyer, et son patient fut à même de produire un « ah » clair et distinct. Logue continua, essayant de lui montrer comment former les sons, exactement comme un parent apprendrait à son enfant à parler pour la première fois. Moins de deux mois plus tard, O’Dwyer put rentrer chez lui, tout à fait guéri.
Logue décrivit le traitement (lequel, insista-t-il auprès du quotidien, avait été sans frais pour le patient) comme un « cours de prononciation et d’expression orale impliquant de favoriser chez le patient la confiance dans le résultat » – ce mélange d’effort physique et psychologique que l’on retrouverait dans son futur travail avec le roi. Cette méthode contrastait nettement avec d’autres, plus brutales, comme les électrochocs, qui avaient été testées sans succès sur des patients en
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