Le discours d’un roi
palais de l’Industrie, de l’Ingénierie et des Arts – étaient en cours de construction. De même que le stade de l’Empire, avec ses tours jumelles caractéristiques et qui, sous le nom de stade de Wembley, deviendrait le coeur du football anglais jusqu’à sa démolition en 2002. En tout, on dénombra près de 27 millions de visiteurs, dont beaucoup venus des coins les plus reculés de l’Empire, Australie comprise.
Avec toute cette foule affluant vers l’Angleterre, les Logue n’avaient que peu d’espoir de réaliser leur rêve, mais une demi-heure plus tard, le téléphone sonnait de nouveau : c’était l’agent de voyages, l’air surexcité.
« Tu as une sacrée chance, annonça-t-il à Logue. Deux réservations viennent juste d’être annulées. Tu peux les prendre. Le bateau part dans dix jours.
— Je te donne ma réponse dans trente minutes, fit Logue.
— C’est maintenant ou jamais. »
Myrtle hocha la tête et Logue n’hésita pas. « D’accord, on les prend. »
Le voyage, qui dura près de six semaines, leur offrit le loisir de faire connaissance avec les passagers et l’équipage. Ils s’entendirent en particulier avec le capitaine, un Écossais du nom d’O. J. Kydd qui, huit ans plus tard, inviterait Logue à le rejoindre en vacances dans sa demeure près d’Aberdeen, et qui lui montrerait Holyrood Castle, Glencoe, le défilé de Killicrankie et bien d’autres lieux dont il avait entendu parler dans ses lectures d’enfant.
On ne sait pas si Logue et Myrtle avaient l’intention d’émigrer ou simplement de revoir le pays qu’ils avaient quitté dix ans plus tôt. Quoi qu’il en soit, plus rien ou presque ne les retenait en Australie. Ils avaient tous deux perdu leurs pères depuis longtemps ; en 1921, la mère de Lionel, Lavinia, était morte elle aussi. Et Myra, la mère de Myrtle, l’avait suivie en 1923.
La Grande-Bretagne où la famille débarqua était un pays en ébullition. La Première Guerre mondiale avait entraîné de terribles bouleversements, et le pays peinait à retrouver son équilibre en temps de paix. David Lloyd George avait juré de faire de la Grande-Bretagne un « pays digne des héros », mais il fallait trouver des emplois pour les soldats démobilisés et convaincre les femmes qui les avaient remplacés dans les usines de retourner au foyer. L’optimisme s’était bien vite dissipé alors que la prospérité de l’immédiat après-guerre fléchissait dès 1921. Le gouvernement dut réduire les dépenses publiques et le nombre de chômeurs augmenta. La Grande-Bretagne sortait lourdement endettée de la guerre.
Même le triomphalisme impérial incarné par l’exposition de Wembley était illusoire : le Royaume-Uni éprouvait des difficultés à financer la défense de son Empire, qui venait d’acquérir de nouveaux territoires équivalant à 4,6 millions de kilomètres carrés et 13 millions de sujets supplémentaires grâce au traité de Versailles, à l’occasion duquel Lloyd George et les autres dirigeants des puissances alliées victorieuses s’étaient partagé le monde.
Le paysage politique aussi était en plein bouleversement. Stanley Baldwin, conservateur devenu Premier ministre en mai 1923, n’avait pu obtenir la majorité lors de législatives disputées en décembre, ce qui avait ouvert la voie au premier gouvernement travailliste qu’ait connu la Grande-Bretagne. Ainsi, en janvier 1924, le roi George V demanda à Ramsay MacDonald, fils illégitime d’un ouvrier agricole écossais et d’une femme de ménage, de former un gouvernement de minorité avec le soutien des libéraux. Le souverain fut impressionné par MacDonald. « Il tient à faire ce qu’il faut, nota-t-il dans son journal. Il y a vingt-trois ans aujourd’hui que ma chère grand-maman est morte. Je me demande ce qu’elle aurait pensé d’un gouvernement travailliste. »
Le gouvernement en question ne dura pas longtemps : le Labour fut battu aux élections d’octobre, ce qui signifiait le retour de Baldwin et des conservateurs, qui allaient dominer la politique britannique pendant les vingt années suivantes, la grève générale de 1926, la Grande Dépression des années trente et, pour finir, la Seconde Guerre mondiale.
Mais ces jours sombres étaient encore loin ; Logue avait plus urgent à régler. Myrtle et lui avaient peut-être au départ l’intention de venir en vacances, mais ils décidèrent bientôt de prolonger
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