Le discours d’un roi

Sénat pour son discours officiel aux membres des deux Chambres, le duc fut aussitôt frappé par la chaleur, qui s’intensifia quand on alluma les lumières pour les photographes et les caméramen, dont les films seraient distribués par Pathé dans les salles de cinéma en Grande-Bretagne. « La lumière était si forte qu’elle a augmenté la température du Sénat de 18 à 26 degrés en vingt minutes, malgré le fait que, sur requête expresse, un tiers des lampes avaient été éteintes », rapporta Cavan 43 . Et pourtant, le duc continua, s’acquittant de ce que tous les membres de l’assistance considérèrent comme une remarquable prestation.
    Au déjeuner officiel, les cinq cents invités se joignirent au duc pour un toast à son père, avec de l’orangeade et de la limonade – la loi interdisait toute consommation d’alcool à Canberra. Cette abstinence forcée ne suffit pas à ternir le sentiment de fierté et de soulagement du duc. On le perçoit dans une lettre qu’il envoya à son père, et où il loue l’aide que lui avait apportée Logue. « Je n’étais pas tellement nerveux quand j’ai fait le discours, parce que celui que j’avais tenu dehors s’était déroulé sans anicroche, et je n’ai pas hésité une seule fois, écrivit-il. J’étais soulagé, car je continue d’avoir peur de parler en public, bien que les leçons de Logue aient vraiment fait des miracles pour moi puisque je sais maintenant comment éviter et surmonter toute difficulté. J’ai tellement plus confiance en moi désormais, ce qui vient, j’en suis sûr, de ma capacité à enfin m’exprimer correctement 44 . » Le duc veilla également à faire savoir à Logue à quel point il était reconnaissant : le soir du discours, Hodgson envoya à son professeur un télégramme à son domicile de Bolton Gardens qui disait simplement : « Discours de Canberra grand succès tout le monde satisfait 45 . »
    Le 23 mai, le duc et la duchesse reprirent enfin la mer pour rentrer en Grande-Bretagne, les oreilles résonnant encore de multiples félicitations. « Son Altesse Royale a profondément touché le peuple par sa jeunesse, sa simplicité et son port naturel, déclara au roi sir Tom Bridges, gouverneur d’Australie du Sud, tandis que la duchesse a été universellement saluée, et qu’elle nous laisse en charge d’un continent amoureux d’elle. Cette visite a fait plus de bien que nous ne saurions le dire, et a assurément retardé de vingt-cinq ans l’horloge de la désunion et de la déloyauté, du moins en ce qui concerne cet État 46 . »
    L’aventure n’était pas encore tout à fait terminée. Trois jours après avoir quitté le port de Sydney, alors que le Renown faisait route dans l’océan Indien, un grave incendie se déclara dans une des salles des chaudières et manqua se communiquer à toutes les réserves de combustible du bâtiment. Le sinistre fut rapidement maîtrisé, mais il fut si sérieux qu’on envisagea un temps d’abandonner le navire.
    Le duc et la duchesse débarquèrent à Portsmouth le 27 juin, ce qui donna aux gens du cru l’occasion de constater les progrès de Bertie lors d’un discours qu’il tint en réponse aux salutations du maire. Basil Brooke, contrôleur des comptes du duc, était présent, et il écrivit à Logue pour lui dire à quel point il avait été « vraiment impressionné » par ce qu’il avait entendu. « Il n’y a eu pratiquement aucune hésitation et j’ai trouvé cela franchement merveilleux, précisa-t-il. Je me suis dit que vous seriez heureux de le savoir 47 . »
    Si les trois frères du duc l’accueillirent à Portsmouth, le roi et la reine les attendirent, son épouse et lui, à la gare Victoria. Pendant leur voyage de six mois, le couple royal avait parcouru plus de 45 000 kilomètres sur mer et plusieurs milliers sur terre. Ils avaient été reçus chaleureusement partout, preuve du respect que la monarchie inspirait encore tant en Australie qu’en Nouvelle-Zélande, et il ne faisait aucun doute que, par leur présence, ils avaient encore renforcé cette dévotion envers la Couronne et l’Empire.
    De façon tout aussi importante, la tournée avait insufflé au duc une nouvelle confiance en ses propres capacités. Il était pleinement conscient du fait que sa prestation avait amélioré son image aux yeux du roi. Les conversations avec son père ne lui paraissaient plus aussi intimidantes qu’autrefois. « Je ne dois pas me