Le discours d’un roi
nombre d’autres journaux américains. « Le duc d’York est l’homme le plus heureux de tout l’Empire britannique, commençait-il. Il ne bégaie plus… Le secret de son défaut d’élocution était bien gardé. Il en souffrait depuis l’enfance, et suit un traitement depuis deux ans, qui s’est révélé concluant. Pourtant, cette histoire n’a jamais été publiée au Royaume-Uni. » Le compte rendu qui suivait avait été, d’après Foss, « seulement obtenu après les enquêtes et investigations les plus minutieuses. En Grande-Bretagne, presque personne ne semble avoir été capable de nous renseigner ».
Foss raconta alors l’histoire de Logue, exposa ses techniques et comment il en était venu à travailler avec le duc. Il fit aussi remarquer que, dans le passé, quand le couple royal arrivait quelque part, la duchesse faisait un pas en avant pour parler à la place de son mari et lui épargner ainsi la gêne d’une hésitation. Désormais, dit-il, « elle reste en arrière, observant timidement l’homme dont elle est si manifestement fière ».
Selon lui, Logue aurait confirmé que le duc était son patient, tout en décrétant que le protocole professionnel lui interdisait d’en dire plus. Le secrétaire particulier du duc s’était montré tout aussi réticent à entrer dans les détails.
Tout cela ne diminua pourtant en rien les éloges du journaliste envers le travail de Logue. « De toute évidence, l’analyse de Logue était correcte, conclut Foss. Ceux qui n’ont jamais entendu le duc parler auparavant ne pourraient jamais soupçonner qu’il a un jour eu du mal à s’exprimer. À l’instar de Démosthène à Athènes, le duc a maîtrisé un handicap et est en passe de devenir un orateur accompli. »
C’en était fini de la discrétion. Le lendemain, le journal de Gordon, le Sunday Express , apporta sa propre version des faits… qui fit le tour du monde. « Les milliers de personnes qui ont entendu le duc d’York s’exprimer en public ont constaté la remarquable évolution de son élocution, disait le journal. Le Sunday Express peut aujourd’hui révéler le secret qu’il cachait. » L’article proposait ensuite les mêmes informations que celui de Foss, en remarquant comment ce qui était au début un léger bégaiement était devenu un défaut « dont l’ombre menaçante planait sur toute la vie du duc », le laissant littéralement sans voix lorsqu’il rencontrait des inconnus ; il s’était même mis à éviter les conversations.
Malgré son amitié avec Gordon, Logue ne lui en dit guère plus qu’à Foss. « De toute évidence, je ne peux pas parler du cas du duc d’York, ni de celui de tout autre patient, déclara-t-il au journal. Des reporters américains et britanniques m’ont posé des questions à ce sujet plusieurs fois au cours de l’année passée, et tout ce que je peux en dire, c’est que c’est très intéressant. » L’article du Sunday Express fut réimprimé et relayé par d’autres journaux, pas seulement en Grande-Bretagne mais ailleurs en Europe, notamment en Australie, où l’on releva la contribution de Logue avec une fierté compréhensible.
Peut-être en raison de cet épisode, le phénomène du bégaiement continua de passionner la presse. En septembre 1929, un débat fit rage dans les pages du Times et d’autres journaux nationaux : les scientifiques avaient établi que les femmes y étaient bien moins sujettes que les hommes. Il ne s’agissait pas là d’une « découverte » particulièrement surprenante : ceux qui travaillaient dans le domaine avaient noté depuis longtemps une prédominance de patients masculins. Cela n’empêcha pas les journaux d’y consacrer plusieurs rubriques éditoriales ; les lecteurs y relataient aussi leurs expériences… même s’ils n’étaient pas tous d’accord sur la raison de cet écart entre les deux sexes.
Logue découpait scrupuleusement les articles et les lettres dans les journaux pour les coller dans les pages de son album. Quand le Sunday Express lui demanda de se joindre à la discussion, il avança son opinion personnelle. Le numéro du 15 septembre la présenta avec le titre : « Pourquoi les femmes ne bégaient pas. Elles parlent sans écouter ».
« Tout d’abord, les hommes sortent plus souvent dans le monde ; les circonstances les rendent plus conscients de leur pensée, affirmait Logue. Les femmes bavardent souvent ensemble sans se
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