Le discours d’un roi
préoccuper vraiment de ce que l’autre raconte. » Quant à celles qui souffraient malgré tout de ce défaut, elles faisaient leur possible pour le cacher, ajoutait-il. Il cita l’exemple d’une patiente de sa connaissance qui voyageait tous les jours du coeur de Londres à Earl’s Court, où elle vivait, tout en achetant systématiquement un billet pour Hammersmith, car elle n’arrivait pas à prononcer le son « k » de « Court ». « Une autre s’efforçait toujours de donner la somme exacte pour prendre le bus, afin de dissimuler son problème. »
Le mois suivant, on eut confirmation que le duc avait réussi à maîtriser son bégaiement et pris en assurance, avec la publication d’un livre écrit par Taylor Darbyshire, un journaliste de la Press Association australienne qui les avait accompagnés, lui et sa femme, lors de leur séjour en Australie et en Nouvelle-Zélande. L’ouvrage de 287 pages se présentait comme « la biographie intime et officielle du second fils de Leurs Majestés le roi et la reine, écrite par un homme qui a eu des opportunités spéciales, et publiée avec l’approbation de Sa Majesté Royale » – ce que nous appellerions aujourd’hui une biographie autorisée.
Le livre, largement cité par les journaux, entrait en détail dans chaque aspect de la vie du duc jusque-là. Mais ce furent surtout les pages consacrées à son bégaiement et à son travail avec Logue qui passionnèrent la presse. Avec des gros titres comme « Comment le duc a fini par triompher », « Défaut d’élocution surmonté par son courage » et « L’homme qui a guéri le duc », ils se concentraient sur ce qu’un journal appela sa « lutte de jeunesse pour trouver sa place dans la vie publique ».
Cette fois, comme le duc avait donné son accord pour la publication, Logue s’autorisa à évoquer son rôle dans l’histoire, ainsi que les efforts fournis par son célèbre patient. « La vraie cause de ce problème d’élocution était que son diaphragme ne fonctionnait pas correctement, qu’il était en décalage avec son cerveau et son articulation ; il s’agissait donc d’une raison purement physique, révéla-t-il dans une interview retranscrite dans plusieurs journaux le 26 octobre. Dès qu’il a entamé des exercices vocaux, il y a eu une nette amélioration. »
« Je n’ai jamais eu de patient si constant ni si persévérant, poursuivait Logue. Il n’a jamais manqué un seul rendez-vous, et il m’a dit être prêt à faire n’importe quoi tant que cela le guérirait. » Logue affirma que le duc était désormais délivré de son défaut, « mais [qu’]il continu[ait] des exercices physiques pour sa santé ». Le duc, dit-il, était « le patient le plus courageux et le plus déterminé que j’aie jamais eu ».
L’histoire du bégaiement du duc et de l’Australien peu orthodoxe qui le guérissait circula aussi au-delà des îles Britanniques. Le 2 décembre, le magazine Time intervint avec un bref article intitulé Grande-Bretagne : G-G-G-Guérie : « Pendant de nombreuses années, parler en public avait été une vraie torture pour le duc d’York. Il est bien connu qu’afin d’éviter de prononcer le mot “roi” en anglais, “K-K-K-King”, il se réfère généralement à son père comme “Sa Majesté”. Les spécialistes, qui avaient à l’esprit l’extrême timidité du duc dans sa jeunesse, se sont efforcés de traiter son bégaiement en se concentrant sur l’aspect psychologique, persuadés qu’il était de nature nerveuse. Les traitements se sont révélés inefficaces, Son Altesse Royale continuait de bredouiller. »
La semaine précédente, la revue avait relaté : « L’Angleterre se réjouit. Le duc est si proche de la guérison qu’il a pu dire “King” sans caquet préliminaire. Parmi les spécialistes, seul le Dr. Logue a su discerner que son problème était de nature physique, non mentale. Il a prescrit des massages et des exercices de la gorge. » On ne saurait trop dire où le magazine avait cru comprendre que Logue était médecin, même si ce titre l’aurait sans doute flatté.
Les progrès du duc se poursuivirent, malgré quelques inquiétudes concernant la santé de son père. En novembre 1928, lors de la commémoration de l’Armistice au cénotaphe de Whitehall, à Londres, le roi avait attrapé un mauvais rhume, qu’il négligea et qui dégénéra en septicémie. De toute évidence, il serait
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