Le discours d’un roi

invalide pendant quelque temps, et le 2 décembre, on nomma six conseillers de l’État pour régler les affaires publiques ; le duc en fit partie, ainsi que sa mère et son frère aîné.
    Édouard était alors absent, en visite en Afrique de l’Est. Bien que prévenu de l’état de son père, il ne reprit pas la route de Londres immédiatement, à la grande consternation de ses conseillers. Finalement convaincu du sérieux de la situation, il se hâta de rentrer. Pendant le voyage, il reçut une lettre du duc, témoignant du fait qu’en dépit de la grave maladie du roi aucun des deux frères ne s’était départi de son humour pour autant : « Il y a une charmante histoire qui circule dans les quartiers Est de Londres : apparemment, tu te dépêcherais de rentrer au cas où je prendrais le trône en ton absence, si jamais quelque chose arrivait à papa !! On se croirait au Moyen Âge… » Cette lettre amusa tant Édouard qu’il la conserva et l’intégra à ses Mémoires.
    Le roi subit une opération et, s’il fut encore en danger pendant quelque temps, commença à se remettre progressivement l’année suivante. Il faudrait cependant attendre le mois de juin avant qu’il ne recouvre des forces suffisantes pour prendre de nouveau part à des cérémonies publiques. Ces épisodes avaient mis le duc sous tension, en raison de ses inquiétudes pour son père, ainsi que des tâches supplémentaires qu’il devait assumer ; mais il ne se laissa pas démonter pour autant, comme il le révéla dans une lettre envoyée à Logue le 15 décembre 1928, où il le remerciait pour un livre offert pour son anniversaire :
    « Je ne sais pas si vous l’avez envoyé pour me rappeler gentiment de passer vous voir plus souvent ou pas, mais votre aimable attention m’a fait plaisir. Comme vous pouvez l’imaginer, ces derniers temps mon esprit a été accaparé par d’autres choses, et d’ailleurs malgré toute cette tension mentale, mon élocution n’en a pas été affectée du tout. Alors tout va pour le mieux 51 . »
    Ces livres d’anniversaire allaient devenir une sorte de tradition. Le 14 décembre, où qu’il soit, quoi qu’il fasse, Logue envoyait systématiquement un ou deux volumes soigneusement sélectionnés, et ce jusqu’à la fin de sa vie. Le duc, même après être devenu roi, répondait par une lettre de remerciement écrite de sa propre main, dans laquelle il parlait inévitablement de ses progrès d’élocution et évoquait brièvement les affaires quotidiennes. Logue conserva précieusement chacune de ces lettres, que l’on a retrouvées parmi ses documents.

Chapitre sept
    Le calme avant la tempête
    Les années 1930 furent en fin de compte la décennie la plus tumultueuse du XX e  siècle. Le krach de Wall Street, en 1929, avait mis fin aux Années folles, les précipitant dans la Grande Dépression et entraînant une grande misère économique partout dans le monde. Il contribua à l’ascension d’Adolf Hitler qui, devenu chancelier allemand en janvier 1933, entama le processus qui allait mener au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, six ans plus tard.
    Cependant, pour le duc, les six premières années de la décennie passèrent avec une certaine tranquillité. « C’était presque la dernière période d’apaisement qu’il connaîtrait, écrivit son biographe officiel ; un temps marqué par un heureux équilibre entre ses dures tâches au service de l’État, et son existence comblée d’époux et de père 52 . »
    Mais de plus en plus, on demandait au duc qu’il joue un rôle dans le fonctionnement de la Couronne. Non content de servir en tant que conseiller d’État pendant la maladie de son père, il l’avait représenté au Danemark, en octobre 1928, à l’occasion des funérailles de Marie Dagmar, l’impératrice douairière de Russie, et en mars de l’année suivante, au mariage de son cousin, le prince héritier Olav de Norvège. Le même mois, il fut également nommé haut-commissaire de l’assemblée générale de l’Église d’Écosse. D’autres tâches et, inévitablement, d’autres discours allaient suivre.
    Il y eut des changements aussi sur le plan familial : le 21 août 1930, naquit sa seconde fille, Margaret Rose ; en septembre de l’année suivante, le roi donna à son fils le Royal Lodge, dans le grand parc de Windsor, comme maison de campagne.
    En grandissant, les deux princesses devinrent rapidement des stars