Le Druidisme
récit de la légende, même ceux qui
sont très christianisés [330] .
Merlin est le modèle exemplaire de celui qui réalise le pont entre les deux
mondes pour son propre usage, et qui aide les autres à passer : c’est le
sens de ses interventions auprès d’Uther Pendragon et d’Arthur. Mais c’est
aussi le sens de l’élément Varuna dans le couple traditionnel roi-druide. Le
roi guide l’armée, mais c’est le druide qui permet de franchir le pont [331] .
Quant aux compagnons du roi Arthur dans le récit primitif qui est celui de Kulhwch et Olwen , ils sont tous caractérisés par des
pouvoirs relevant du chamanisme. Kai, frère de lait d’Arthur, et son compagnon
le plus ancien, peut rester neuf jours et neuf nuits sous l’eau, neuf jours et
neuf nuits sans dormir. Il est doué d’un autre privilège : il peut devenir
aussi haut que l’arbre le plus haut d’une forêt. Enfin, élément
caractéristique, « quand la pluie tombait le plus dru, tout ce qu’il
tenait à la main était sec au-dessus et au-dessous, à la distance d’une palme, tant sa chaleur naturelle était grande . Elle servait
même de combustible à ses compagnons pour faire du feu, quand ils étaient
éprouvés par le froid ». Cette particularité l’apparente évidemment à Cûchulainn
et à Batraz, et aussi à tous ces hommes-loups et hommes-ours de la mythologie
germanique, qui, possédés par la fureur de Wotan, se déchaînent dans les
combats. En tout cas, il y a loin de ce personnage mythologique archaïque du
Kaï vantard, hâbleur et maladroit, que l’on retrouve dans les versions christianisées
de la légende arthurienne. Un autre compagnon d’Arthur, Bedwyr (le Béduier des
romans français), est manchot – comme Nuada et comme Tyr –, mais son épée est
invincible. Un autre encore est Gwalchmaï, c’est-à-dire « Faucon de Mai »,
autrement dit Gauvain. Il a une particularité intéressante : le matin sa
force croît et elle atteint sa plénitude vers midi ; après cela, elle
décroît. On en a conclu que Gauvain est un héros solaire, ce qui ne veut rien
dire.
Il s’agit de tout autre chose. Gauvain représente une sorte
de médium capable de recevoir la force du soleil et d’utiliser ensuite cette
force selon son activité. Il n’est pas le Soleil, il n’est pas une
personnification du Soleil, mais un humain doué de certains pouvoirs : il capte
littéralement l’énergie, se comportant ni plus ni moins comme une pile solaire.
Le mythe nous enseigne alors que n’importe quel être humain devrait être
capable d’utiliser les forces naturelles, à condition, bien entendu, de savoir
les capter et de les utiliser avec discernement. Car, dans la tradition, Satan
connaît aussi le moyen d’utiliser les forces naturelles, mais à des fins
destructrices. Les forces naturelles, cette énergie cosmique, sont
obligatoirement ambivalentes : en fait, elles ne sont que ce que nous en
faisons.
D’autres compagnons d’Arthur ont des caractéristiques précises.
L’un d’eux sait toutes les langues, y compris le langage des animaux : il
est donc une sorte de druide-chaman réactualisant l’âge d’or, ou rappelant les
souvenirs de ce temps lointain où hommes et bêtes se comprenaient. Quant à
Menw, il peut jeter sur ses compagnons un charme « de façon, à ce qu’ils
ne fussent vus de personne tout en voyant tout le monde ». C’est évidemment
le « don d’invisibilité » que Mananann procure aux Tuatha Dé Danann,
après la bataille de Tailtiu. Et Menw, dont le nom signifie
« Intelligence », peut également jeter un charme sur les animaux
sauvages pour les charmer. Il s’agit encore ici de la reconstitution de l’Âge
d’Or. Menw est alors le Dagda, à la massue ambiguë, maître de la magie, comme
le roi Math du Mabinogi , mais également
« charmeur » de bêtes sauvages comme l’est Merlin [332] .
Quelques-uns des compagnons d’Arthur sont parfois devenus des personnages de
contes populaires, comme celui qui est capable de pomper l’eau d’un estuaire,
celui qui court plus vite que le vent, celui qui porte des poids considérables,
celui qui est capable d’ingurgiter des quantités incroyables de nourriture [333] . On
sait que la tradition populaire est en grande partie l’héritière d’une sagesse
pré-chrétienne et souvent teintée de croyances et de pratiques chamaniques.
Il faudrait également parler du rêve .
Les récits celtiques font une grande part au
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