Le Druidisme
entre droit public et droit privé n’existe pas, et
où il n’y a que des affaires publiques et des affaires privées, les lois – ou
les coutumes – ne peuvent être valables sans référence à un plan supérieur,
celui de la religion. En fait, jugements, décisions et contrats sont sous la
garantie des dieux, seuls dépositaires du droit et de la justice. Et ce sont
les druides, intermédiaires obligés entre les dieux et les hommes,
interlocuteurs privilégiés des dieux, qui se chargent d’appliquer les règles
divines aux cas particuliers. On ne peut pas discuter le jugement d’un druide.
D’ailleurs, si le druide émet un mauvais jugement, c’est lui qui sera châtié
par les dieux. Les exemples abondent, dans la littérature irlandaise, à ce
sujet : si par malheur un druide émet un mauvais jugement, il tombe
malade, ou il est défiguré, ou la terre de la tribu ou du royaume devient
stérile. Le druide a donc intérêt à ne pas se tromper. Sous cette forme qui
emprunte ses points de justification à l’imaginaire, voire au fantastique, on reconnaît
le souci qu’avaient les sociétés celtiques de se hausser jusqu’à la perfection,
et en tout cas l’extrême souci de rigueur qu’elles manifestaient à l’égard des
druides. Car si le roi est soumis à des interdits en nombre parfois
incalculable, le druide n’en supporte aucun, sinon celui-ci, essentiel
d’ailleurs : ne jamais se tromper.
De l’autre côté, le commun des mortels, rois y compris, ne
peut se permettre de passer outre au jugement des druides. « Si un
particulier ou un peuple n’accepte pas leur décision, ils lui interdisent les
sacrifices ; cette peine est la plus grave chez eux » (César, VI,
13). Cela préfigure étrangement l’excommunication et l’interdit jeté sur un
royaume, procédés de coercition dont usera largement l’Église chrétienne au
Moyen Âge. Mais les druides ont encore d’autres moyens. Comme ils sont aussi
des « magiciens », ils peuvent lancer des « satires »
contre les récalcitrants. Cette méthode, qui fait penser à l’anathème des chrétiens,
est à la fois d’ordre religieux, plaçant le coupable directement sous les coups
vengeurs de la divinité, d’ordre social, jetant la honte et l’opprobre sur l’individu
concerné, et bien entendu, si l’on en croit certains textes, d’ordre magique,
mettant en jeu les forces mystérieuses et « démoniaques » qui animent
le monde de façon sous-jacente. L’exemple le plus caractéristique est celui du
druide-satiriste Athirne dont il est question dans deux récits irlandais, la Courtise de Luaine et le Siège
de Dun Etair . C’est un Ulate, mais ses compatriotes le craignent
passablement et lui ont donné le surnom d’ Importun
d’Ulster . Il est vrai qu’il est encombrant : il se sert de sa
qualité de druide et de ses pouvoirs pour assouvir tous ses désirs. Et ses
prétentions sont exorbitantes : il réclame, sous peine de graves malédictions,
l’œil d’un roi borgne, la femme d’un autre roi, les plus beaux bijoux de
certaines familles [40] . Il
n’est pas inintéressant d’ailleurs de remarquer que les Ulates s’en servent
comme d’un provocateur vis-à-vis des autres peuples, mais c’est une autre
histoire. Certes, dans ce cas précis, il est évident qu’il y a exagération
épique, mais cela montre au moins que les pouvoirs du druide, maître de la
magie incantatoire, étaient redoutables.
Si le druide ne peut pas se tromper, et s’il est maître de
la magie incantatoire, cela explique aussi son rôle de devin. Interlocuteur
privilégié de la divinité, il est plus que jamais le « très voyant »,
celui qui sait lire le grand livre des destinées. Les Celtes, comme tous les
autres peuples de l’Antiquité, avaient une grande confiance dans les augures.
Ils n’entreprenaient jamais rien sans avoir consulté les oracles. Ils n’étaient
pas les seuls, mais les témoignages prouvent que, chez eux, l’art prophétique
était d’une importance considérable. « Ils se servent de devins à qui ils
accordent une grande autorité ; ces devins, c’est par l’observation des
oiseaux et l’immolation des victimes qu’ils prédisent l’avenir, et ils tiennent
tout le peuple dans leur dépendance » (Diodore de Sicile, V, 31).
« Les devins se sont efforcés, par leurs recherches, d’accéder aux
événements et aux secrets les plus hauts de la nature » (Timagène, in Ammien
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