Le Druidisme
le culte, qui n’était plus qu’un souvenir, est devenu un objet de
curiosité, une chose du temps passé, voire une superstition des naïfs ancêtres [197] . On a
donc raconté les pratiques rituelles, en les déformant
souvent d’ailleurs, au lieu de les vivre , et
ces « contes » se sont intégrés tout naturellement aux anciens récits
à structures mythologiques. C’est, pour une bonne part, l’origine de l’épopée,
tant héroïque que mythologique.
Il importe donc d’apporter la plus grande attention à ces récits
mythologiques si l’on veut essayer de discerner les grandes lignes du culte
druidique, car les témoignages historiques sont rares et l’apport archéologique
à peu près nul. Il ne s’agit pas, bien entendu, de prendre tout à la lettre,
notamment à propos des guerres inexpiables, des combats fantastiques et aussi
des sacrifices humains. La plupart de ces récits ont été, sinon composés, du
moins transcrits – et souvent retouchés – par des clercs soucieux d’affirmer,
parfois a contrario , la grandeur et la
primauté du christianisme. Mais tels qu’ils sont, les récits irlandais, gallois
et arthuriens sont des documents. À nous de les analyser de façon critique, en
les confrontant à l’histoire et à l’archéologie.
1) LE SANCTUAIRE DRUIDIQUE
Nous n’en sommes plus à l’époque où l’on voyait partout des
« autels druidiques » sur le moindre dolmen enfoui dans les
broussailles, ou des tables de sacrifices sanglants sur les fameuses
« pierres à bassin » qui abondent dans toutes les régions. Mais il ne
faudrait pas tomber dans l’excès inverse et voir dans toute construction en
brique romaine un temple gaulois.
Ce n’est pas une hypothèse, mais une réalité : avant
d’être conquis par les Romains ou assimilés par les Grecs, les Celtes n’ont jamais construit de temples . Il
n’est jamais question de temples bâtis dans les récits épiques irlandais ou
gallois. Les auteurs latins et grecs n’ont jamais signalé de temples gaulois
avant la conquête. Le temple d’Apollon signalé dans l’île de Bretagne est
Stonehenge : il date de l’Âge du Bronze, et n’est donc pas celtique ;
d’ailleurs, il s’agit d’un sanctuaire en plein air, et non d’un temple bâti et
couvert. Tite-Live fait allusion à un temple des Boïens, et Polybe à un temple
des Insubres, mais à chaque fois référence est faite à un lieu dans une forêt,
sans aucune précision d’aspect ou d’architecture. César, lui, ne parle que de locus consecratus (VI, 13 et 16), ce qui ne désigne
absolument pas un temple à la façon romaine. Quant à l’archéologie, elle ne
nous apprend rien, puisqu’il n’y avait pas d’édifices. Les seuls bâtiments
culturels qu’on puisse attribuer aux Celtes de l’indépendance se trouvent
limités à la région méditerranéenne, là où, comme à Entremont, près
d’Aix-en-Provence, ils étaient en contact avec les Grecs et les Romains et
subissaient leur influence.
Après la conquête, des temples bâtis apparaissent, notamment
des temples carrés. Mais ils concernent des divinités romaines et n’ont rien à
voir avec la religion druidique. Du reste, la mise à l’écart des druides,
légalisée au temps de Tibère, interdit toute référence druidique à propos des
temples bâtis après la conquête et la romanisation. S’il y avait encore des
lieux de culte druidiques, ils devaient être soigneusement cachés. C’est
d’ailleurs ce que révèle Lucain dans la Pharsale .
Mais on voit aussi apparaître des temples ronds, et des temples octogonaux, sur
le sol gaulois, alors qu’on n’en trouve pas (hormis celui de Vesta) sur le
territoire romain. Cela prouve quelque chose, un souvenir, une habitude. On a
proposé que les temples ronds provenaient d’un ancien rite de circumambulation,
d’ailleurs prouvé, autour de la tombe d’un héros : les premiers temples
auraient été bâtis ainsi autour d’un tombeau, ce qui expliquerait le
déambulatoire des églises chrétiennes ultérieures. Il faut bien reconnaître que
de nombreux sanctuaires chrétiens se sont élevés sur l’emplacement de la tombe
d’un saint ou d’un martyr. Mais cela prouve quoi ? Les Irlandais, d’après
les récits épiques, avaient l’habitude d’élever un pilier funéraire, en bois ou
en pierre, à l’endroit où un héros avait trouvé la mort (mais pas
obligatoirement sur son tombeau), et de chanter les louanges du
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