Le Fardeau de Lucifer
Un peu des deux, sans doute, grommela Raynal.
— En tout cas, vous êtes bénis d’avoir pu entrer à temps, dit Foix. Mes troupes ont dû se retrancher dans le plus grand désordre. Cette chiure de Montfort est rusé et il nous a rossés de belle façon.
— Deux de nos compagnons n’ont pas eu la même chance, lui appris-je. Ils sont restés à l’extérieur et je crains qu’ils n’aient été tués. J’aimerais sortir et les chercher.
— Il est hors de question de quitter la ville, tu le sais bien. Tu courrais droit à la mort.
— L’un de ces hommes est mon maître d’armes, Bertrand de Montbard, plaidai-je. Il me suit depuis mon enfance.
— Montbard ? J’ai aussi entendu parler de lui. Un homme de grande valeur, me dit ma sœur, qui le connaît depuis longtemps. Néanmoins, la situation demeure inchangée. J’ai moi-même perdu des centaines d’hommes en quelques heures, dont certains de mes meilleurs officiers, cracha Raymond Roger avec dépit. Des amis, aussi. Et pour rien ! En ce moment même, cette cre-vure de Montfort s’installe devant la muraille avec la ferme intention de nous affamer.
— Il n’a pas assez d’hommes pour y arriver, intervint le jeune Roger Bernard, le feu dans les yeux. Je ne sais pas à quoi il a pensé, mais sans machines de guerre, il n’aura d’autre choix que de s’approcher de la muraille pour la percer. C’est la façon la moins sûre d’assiéger une ville. Ses chances de succès sont minces.
— M’est avis que quelques sorties bien organisées et suffisamment meurtrières pourraient le convaincre de la faiblesse de sa position, suggérai-je.
Le vieil homme me toisa en souriant.
— Des sorties comme celles que tu organisais à Cabaret ?
— Vous êtes bien informé.
— Esclarmonde est une épistolière chevronnée qui t’admire beaucoup. Elle m’a décrit ton parcours. Et m’est avis que Dieu ne t’a pas mené jusqu’ici par hasard.
Cela, je le savais déjà.
Peu après, j’étais à nouveau sur la muraille avec le comte, son fils et Raynal. Pernelle, elle, s’était portée volontaire pour soigner les nombreux blessés et, armée de son précieux coffre, avait été conduite vers une des infirmeries de fortune qui parsemaient la ville. Aux dires de notre hôte, elle aurait fort à faire.
De mon perchoir, même si je savais que l’effort était vain, je cherchais un signe de Montbard ou d’Ugolin.
— Oublie tes compagnons, me dit Foix d’une voix compatissante. Soit ils sont morts, soit ils sont prisonniers. Et crois-moi, s’ils sont encore vivants, Montfort leur infligera les pires tortures et ils imploreront Dieu de venir les délivrer.
— Je sais, dis-je en déglutissant bruyamment. C’est ce qui me déchire.
— Concentrons-nous sur ce que nous pouvons accomplir, ajouta-t-il. Regarde, ils ne perdent pas de temps, les mécréants.
J’observai la scène qui s’offrait à nos yeux. L’armée de Montfort était maintenant bien installée dans la plaine. Au loin, des bûchers avaient été allumés et la fumée âcre des cadavres qui se consumaient se rendait jusqu’à nous. Parmi eux se trouvaient peut-être mon maître et Ugolin. Des centaines de ses hommes avaient été délégués pour combler les fossés. Ils s’activaient à grands coups de pelle, sous la protection d’autres hommes équipés d’écus qui paraient les projectiles que les archers et les arbalestiers de Toulouse faisaient pleuvoir sur eux. Plusieurs tombaient, transpercés, mais le travail avançait malgré tout et, sous peu, le chemin vers la muraille serait libre. J’avisai de curieuses structures de bois sur lesquelles travaillaient les soldats. Il s’agissait de charpentes minces et légères, assez longues pour abriter une dizaine d’hommes. On s’affairait à les couvrir de peaux de bêtes que d’autres mouillaient à pleines chaudières.
— Qu’est-ce que c’est que ces choses ? m’enquis-je, perplexe.
— Des chattes. Tu n’en as jamais vu ? répliqua le comte.
— Non, admis-je.
— Dès que le fossé sera rempli, des maçons se blottiront dessous et les soulèveront pour les transporter jusqu’au pied de la muraille. Leur toit humide les protégera de l’huile brûlante que nous essaierons de leur verser dessus. Ils allumeront des feux pour chauffer le mortier des murs et le rendre friable. Ensuite, ils perceront
Weitere Kostenlose Bücher