Le Fardeau de Lucifer

consacrer ses derniers moments à préparer son âme au jugement dans la sérénité et le recueillement.
    Elle sortit, nous laissant seuls entre membres des Neuf. Je résumai rapidement ma découverte à Montbard et à Ugolin. Puis je leur expliquai le plan que la situation m’avait forcé à improviser.
    —    Qu’avons-nous à perdre ? répliqua mon maître.
    —    Sire Ravier, demandai-je, puisque sire Bertrand n’a pas été éliminé, peut-il redevenir membre à part entière de l’Ordre ?
    —    Il le peut, il suffit de révoquer son remplacement, râla le vieil homme.
    —    Bien, alors convoquez dès maintenant une rencontre pour ce soir, comme c’est votre prérogative, je vous prie, lui intimai-je avec fermeté.
    —    Secretum Templi au milieu de la nuit, dit-il d’une voix faible.
    Je me retournai vers Montbard et Ugolin.
    —    Mes frères, dis-je solennellement, vous avez entendu le Magister. Par les mots sacrés, un conseil de l’Ordre des Neuf a été dûment convoqué pour cette nuit. Répandez la nouvelle.
    Mes deux comparses quittèrent aussitôt la chambrette de Ravier et entrèrent presque en collision avec Pernelle, qui revenait avec une bouteille à la main. Elle se dirigea vers le mourant, lui souleva la tête et la porta à ses lèvres.
    —    Buvez, sire Ravier, murmura-t-elle d’un ton maternel. C’est un mélange de jusquiame et de stramoine. Ça calmera un peu vos douleurs et vous vous sentirez mieux. Mais vous ne guérirez pas. Vous me comprenez bien ?
    Le vieil homme avala docilement la potion et sourit faiblement.
    —    Ma dernière heure. approche, et. je l’accepte, dame Pernelle. Je prie seulement Dieu. de m’accorder encore quelques. jours pour terminer. la tâche qu’il. m’a confiée.
    Il tendit son bras émacié, me prit la main et la serra aussi fort qu’il le put.
    —    Avec de l’aide. j’y arriverai peut-être, dit-il devant Pernelle, déroutée.
    J’attendis l’heure de la prière, alors que tous les Parfaits se réunissaient dans la même pièce, pour m’introduire subrepticement dans leur corps de logis. Je trouvai aisément la cellule où dormait Daufina. De nombreuses fioles, semblables à celles que j’avais vues chez Ravier, y traînaient un peu partout.
    Je fouillai la pièce de fond en comble en m’assurant de ne pas laisser de traces de mon passage. Je ne savais pas exactement ce que je cherchais, mais lorsque je le vis, tout ce que je savais se mit en place et je compris comment la Vérité avait été volée. Après toutes ces semaines d’angoisse, elle était enfin à portée de main.
    Dans le temple des Neuf, l’ambiance était tendue à l’extrême et aussi froide qu’à l’extérieur. Les soupçons et les non-dits planaient librement, portés par des regards obliques et des froncements de sourcils. La méfiance était palpable. Aucun des individus présents n’était habitué au sentiment d’impuissance que provoquaient l’inaction et l’insuccès. Chacun était cruellement conscient du fait que l’un d’entre nous avait volé la Vérité. Et l’un de nous savait qu’il était celui sur lequel les autres espéraient mettre la main pour l’occire sans autre forme de procès. Le traître jouait gros.
    À ma demande, Ugolin avait porté sire Ravier jusqu’au temple. Le vieillard presque impotent était maintenant assis à sa place, à l’est du temple, sa faiblesse le rendant encore plus digne. Avec effort, il se tenait aussi droit qu’il en était capable. Il semblait flotter dans le manteau blanc qu’il remplissait quelques mois plus tôt. Le tonique de Pernelle lui avait rendu un peu de ses forces, mais il restait blême et tremblant. Dans la lumière des torches, sa peau, tendue sur son visage, était moite et translucide. D’une voix éteinte, il avait prononcé les paroles rituelles qui signalaient l’ouverture de l’assemblée, mais avait été incapable de se lever comme il le devait. Nous redîmes en chœur le serment qui nous liait à l’Ordre des Neuf - ce serment terrible qu’une des personnes présentes trahissait pourtant en toute connaissance de cause - et la séance fut officiellement ouverte sous le sceau du secret. Un secret qui perdrait tout son sens si la situation n’était pas rectifiée.
    Montbard fut réadmis dans l’Ordre, puis dans le temple. Pendant que Ravier officiait de son mieux au rythme de pitoyables coups de maillet, je profitai de ma présence