Le Fardeau de Lucifer

à sa droite pour observer les autres membres de l’Ordre. Montbard avait retrouvé son fauteuil et je me réjouissais de l’y voir en vie. Les autres templiers lui avaient adressé des salutations sincères qui avaient paru lui faire chaud au cœur et Eudes s’était même levé pour lui serrer la main. Un fauteuil supplémentaire avait été ajouté pour accommoder la corpulente personne d’Ugolin. Pour la première fois depuis sa création, l’Ordre des Neuf comptait donc dix membres, en sus du maître. Si les choses se déroulaient comme je l’espérais, l’assistance serait ramenée au nombre éponyme le soir même.
    Tous les membres semblaient sincèrement touchés par la décrépitude de Ravier. Je pouvais lire la commisération et la tristesse sur les visages d’Esclarmonde et de Peirina, mais aussi sur celui d’Eudes, qui m’avait toujours semblé très proche du maître. Raynal, lui, faisait de son mieux pour rester impassible. Cet homme était de marbre et, malgré son caractère sanguin, il savait parfaitement cacher ses émotions quand il le voulait. Jaume, pour sa part, paraissait catastrophé. Je réalisai à ce moment précis à quel point le vieux templier était profondément aimé. Et pourtant, quelqu’un l’avait trahi.
    Restaient Daufina et Véran. Les deux semblaient nerveux. Les yeux du petit templier à l’air félin allaient et venaient anxieusement et il ne parvenait pas à cacher tout à fait le tourment qui le tenaillait. Le menton appuyé dans la main, je l’observai jusqu’à ce que nos regards se croisent. Il soutint le mien pendant un temps puis tourna la tête avec indifférence. Quant à Daufina, elle semblait sur le point de fondre en larmes. Elle se tordait sans cesse les mains, les yeux fixés sur les pieds du Magister.
    —    Mes frères, mes sœurs, dit Ravier d’une voix faible et hésitante lorsque l’assemblée fut ouverte, comme vous le voyez, je ne suis pas en état de diriger nos travaux.
    Il fit une pause pour reprendre son souffle.
    —    Ceci est sans doute la dernière fois que je siège parmi vous comme Magister de l’Ordre. Qu’elle soit la plus importante de toutes. Je cède la parole à sire Gondemar.
    J’attendis un moment pour produire l’effet escompté puis me levai. Sans me presser, je me dirigeai vers le centre du temple. Parvenu à l’autel, je m’immobilisai et dévisageai longuement chacun des membres avant de parler.
    —    Mes frères et sœurs, je n’ai nul besoin de vous rappeler que la Vérité a disparu et qu’il se trouve parmi nous un traître. Il n’est pas nécessaire, non plus, de vous dire à quel point cette situation est sérieuse pour notre Ordre. J’y suis encore bien jeune, je le reconnais, mais ce qu’il protège me tient plus à cœur que je ne pourrai jamais l’exprimer.
    Ma déclaration fut accueillie par un silence de mort que je prolongeai volontairement pour un instant avant de reprendre.
    —    Comme vous tous, sauf, évidemment, celui - ou celle - qui en connaît l’emplacement, j’ai cherché la piste des parchemins, et j’ai bon espoir de l’avoir trouvée. Mes démarches m’ont mené dans l’étable, où gisait le corps d’Eiquem, le messager de Toulouse, qui était, selon toute vraisemblance, un complice du traître et qui a été lâchement égorgé. Elles m’ont ensuite conduit dans la chambre d’agonie de notre maître, puis dans le logis de l’un d’entre nous. Elles m’autorisent maintenant à me tenir ici, devant vous où, je l’espère, elles trouveront leur aboutissement.
    Je me mis à arpenter le temple d’un pas mesuré, la main sur la poignée de Memento, arrêtant brièvement mon regard sur chacun des membres.
    —    Etablissons tout de suite que Bertrand de Montbard et Ugolin de Bisor sont exempts de soupçons. Je les connais et je réponds d’eux. S’il s’avère que j’ai tort, je tendrai moi-même mon épée à celui qui devra m’exécuter.
    Ugolin demeura impassible et Montbard inclina légèrement la tête en guise de remerciement.
    —    Toi, dame Peirina, poursuivis-je en me plantant devant la Parfaite, ta loyauté à l’Ordre a été amplement démontrée par le fait que tu aies accepté de participer au meurtre de Bertrand de Montbard, qui te restait pourtant en travers du gosier. De surcroît, le soulagement que tu as montré en le voyant vivant était sincère.
    —    Cela me dégoûtait, en effet, dit-elle d’une voix presque