Le Gerfaut
l’Anglais fut un miracle de charme tranquille tandis qu’il haussait les épaules.
— Je crois, monsieur, que vous n’êtes pas dans votre bon sens et je ne sais de quels papiers vous parlez, sinon peut-être de celui-ci ?…
Et il tira de son habit un papier plié qui portait en effet la signature du général Arnold et qui constituait le plus clair et le plus impératif des laissez-passer pour le squire John Anderson d’Albany se rendant à Norwalk.
— Il ne s’agit pas de celui-là et vous le savez bien. Veuillez descendre de cheval.
— Comme vous voudrez.
Couvert par Tim qui tenait l’Anglais sous la menace de sa carabine, Gilles le fouilla soigneusement et ne trouva rien.
— C’est un comble ! s’écria-t-il. J’ai vu, de mes yeux vu ce traître d’Arnold vous remettre des notes contenant la liste des défenses et des effectifs de la forteresse.
L’Anglais se mit à rire et, sans plus se soucier de Tim, fit quelques pas vers son cheval qui s’était éloigné légèrement.
— Il faut croire que vous avez mal vu, soupira-t-il. Puis-je continuer mon chemin ?
Mais, en le regardant, quelque chose avait mis Gilles en alerte.
— Tiens ! fit-il, narquois, vous boitez maintenant ?
— J’ai glissé dans la boue grasse en descendant de cheval hier : une légère foulure.
— Vraiment ? Voulez-vous cependant me faire la grâce de vous déchausser.
L’Anglais blêmit et Gilles comprit qu’il avait touché juste : les papiers qu’ils cherchaient se trouvaient, soigneusement pliés, entre le pied et le bas.
— Cette fois, nous les tenons, Tim ! dit-il, tout joyeux en tendant les papiers à son ami. Regarde !
Il était si heureux qu’il ne prit pas garde au changement subit survenu dans la physionomie de son prisonnier et tressaillit quand, derrière lui, une voix traînante se fit entendre, une voix qui disait :
— Voyons un peu ces papiers qui ont l’air de vous intéresser tellement, jeune homme ?
Sortis on ne savait trop d’où une bande d’hommes de mauvaise mine, vêtus de défroques moitié militaires moitié paysannes enfermait maintenant le groupe dans un grand arc dont la rivière était la corde. L’Anglais, soudain joyeux, se mit à crier :
— C’est le ciel qui vous envoie ! Vous êtes des cow-boys, n’est-ce pas ? On m’a dit qu’il y en avait par ici. Tirez-moi des mains de ces hommes : ce sont des Américains.
Celui qui paraissait le chef et qui avait, s’il était possible, encore plus mauvaise mine que les autres, s’approcha de lui, non sans rafler au passage les papiers.
— Et vous, vous êtes quoi ?
— L’un des vôtres… enfin presque. Je suis officier anglais ! en mission spéciale d’ordre du général Clinton.
L’homme repoussa en arrière le bicorne crasseux mais superbement empanaché qui lui servait de coiffure et se mit à rire d’un rire qui, d’ailleurs, rappela à Gilles quelque chose.
— Un officier anglais, hein ? Eh bien, si c’est tout ce que ce brave Clinton possède en fait d’agents secrets, on ne peut pas dire qu’il soit gâté. Pour le flair tu repasseras, mon joli. On n’est pas des cow-boys nous autres, on est des skinners.
— Encore ! ne put s’empêcher de dire Gilles qui avait l’impression d’avoir déjà vécu cette scène.
Mais Tim prenait la parole à son tour.
— Tu ne t’appellerais pas Ned Paulding, par hasard ?
L’autre tourna vers lui un nez rouge et des yeux de même couleur mais visiblement charmés.
— Tout juste ! Est-ce que je suis déjà si célèbre ?
— Non, mais on connaît ton frère Sam. Il nous avait même dit de te chercher aux environs de la Crotton River. Tu peux te vanter de nous avoir inquiétés. Voilà deux jours que nous suivons cet homme qui est un espion anglais et nous avons bien cru qu’il allait nous échapper ! Si tu veux bien nous rendre ces papiers, nous allons l’emmener.
— Un instant ! Faut pas être si pressés ! Je veux bien croire ce que tu dis mais Sam et moi c’est pas tout à fait la même chose.
Il étudiait soigneusement les papiers qu’il retournait entre ses doigts aux ongles rongés et brunis par le tabac.
— … J’ai idée que ce doit valoir de l’or, ces machins-là, marmotta-t-il.
— Si c’est de l’or que vous voulez, s’écria l’Anglais qui entrevoyait sans doute une issue, je vous en donnerai. J’ai cinq cents dollars sur moi, une montre en or… Prenez-les et laissez-moi
Weitere Kostenlose Bücher