Le glaive de l'archange
lèvres.
Quand son frère pénétra dans la salle privée où Don Pedro recevait les visiteurs d’importance stratégique, le roi était confortablement assis dans un lourd fauteuil sculpté ressemblant curieusement à un trône. La pièce contenait également un tabouret, un prie-Dieu pourvu d’un coussin destiné aux genoux royaux et une lourde table. En dehors de cela, on ne pouvait s’asseoir nulle part.
Don Fernando parcourut la salle du regard et constata qu’on lui avait donné le choix entre s’agenouiller, se tasser aux pieds de son frère ou rester debout. Il serra les dents et s’inclina.
— Comment va Votre Majesté ? demanda-t-il.
— La santé et l’esprit sont excellents, louanges en soient rendues à Dieu, répondit-il. Et comment va notre frère Fernando ?
— Bien, sire.
— C’est parfait. Et Doña Leonor, notre révérée belle-mère ?
— Elle est en bonne santé.
— Excellent, dit Don Pedro. Veuillez lui transmettre les vœux que nous formons pour qu’elle jouisse d’une vieillesse paisible.
Fernando fit la grimace. Non seulement sa mère, Doña Leonor de Castille, était loin d’être âgée, mais c’était aussi, de par son ambition et son caractère impitoyable, une des femmes les moins paisibles du royaume.
Elle n’aurait pas remercié le messager porteur des vœux d’un beau-fils qu’elle exécrait.
— Je n’y manquerai pas, sire. Puis-je me permettre de m’enquérir de la santé de l’infant Johan, mon jeune neveu ? Des nouvelles me sont parvenues selon lesquelles le duc de Gérone souffre d’une maladie des plus inquiétantes.
— Des rumeurs, mon cher frère, rien de plus. De petits maux d’enfant, promptement guéris par un changement d’air.
— J’en suis heureux. Je vous supplie de veiller sur lui, sire. Et ma chère sœur, notre reine ? Comment va-t-elle ? J’avais espéré lui présenter mes hommages.
— Elle vous prie de l’excuser, mais les préparatifs de son voyage à Ripoll l’occupent beaucoup. Vu son état, il lui est conseillé de se déplacer à un rythme modéré. Dût-elle retarder son départ, même pour une raison aussi plaisante, elle n’arriverait pas avant les pires chaleurs estivales.
Il fallut un instant à Don Fernando pour comprendre toute la portée des paroles de son frère. De petites taches blanches se dessinèrent de part et d’autre de l’arête de son nez : elles prouvaient indéniablement que les propos du roi avaient fait mouche. Don Pedro sourit.
— Je fais des vœux pour que ma sœur connaisse une délivrance sans effort, dit Don Fernando d’un air crispé. J’espère qu’elle ne trouvera pas ce voyage trop pénible. Ou trop dangereux.
— Nous vous remercions de vos vœux, répliqua le roi, mais la reine est d’une santé et d’une humeur excellentes.
Don Fernando contempla le plafond et sourit à son tour.
— J’ai cru comprendre que dame Isabel d’Empuries allait se marier, dit-il.
— Ce ne sont que commérages, fit Pedro avec un geste de la main.
— On ne l’a donc pas promise en mariage ? Les rumeurs abondent à ce sujet.
Le roi hésita.
— Nous n’avons aucune hâte de la donner en mariage.
— En cela, comme en toute chose, Votre Majesté agit avec sagesse, dit Fernando avec cette ébauche de sourire fat qui ne manquait jamais d’irriter son frère.
Après que Don Fernando eut fait ses adieux, Don Pedro demeura dans son fauteuil. Il considéra la menace à peine voilée à l’encontre de son héritier et se demanda quel intérêt son frère pouvait trouver au mariage d’Isabel. Il était possible, voire probable, que Fernando espérait que la peur pousserait son frère à agir de manière hâtive et insensée. Mais pourquoi ? Un bruit l’interrompit dans ses réflexions. Il leva la tête et dit :
— Vous pouvez venir.
La tapisserie qui ornait tout un pan de mur s’écarta, et Don Arnau émergea d’une grande niche, suivi de deux hommes en armes.
— Nous avons un message urgent à faire porter, dit le roi. Vous vous en chargerez personnellement, Arnau. Aux premières lueurs du jour, vous chevaucherez en direction du nord et présenterez nos compliments ainsi qu’une lettre à l’évêque de Gérone.
Fernando sortit du palais à grands pas, sauta sur son cheval et partit au triple galop vers les faubourgs de Barcelone. Il s’arrêta devant une vaste maison, mit pied à terre et entra à vive allure, suivi de son escorte
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