Le glaive de l'archange
et menait une belle jument baie portant une jeune dame de qualité. À l’arrière venait un gentilhomme sur un magnifique alezan. Il était splendidement vêtu de noir et d’écarlate, et la garde de son épée miroitait au soleil. Au milieu, une litière était traînée par deux vigoureux chevaux gris, eux-mêmes guidés par un jeune paysan aux bottes éculées et à la tunique crasseuse. Tomas en conclut que le gentilhomme de la litière devait être bien trop souffrant pour se préoccuper de l’apparence de ses serviteurs.
La procession se rapprocha et Tomas jura à voix basse. Castanya. Il aurait partout reconnu cet alezan. Il en connaissait aussi le cavalier : Romeu. Romeu, vêtu comme un gentilhomme et porteur d’une épée.
Sa première impulsion fut de se lever et d’appeler. Mais la prudence le retint. Il regarda encore et constata que la jeune femme avait les mains liées et attachées à sa selle.
Elle porta son regard dans sa direction.
— Arrêtez ! Il nous faut de l’eau ! cria-t-elle.
— Nous nous arrêterons quand je le déciderai, répliqua Romeu.
Tomas était indigné. Voilà ce que son oncle entendait par escorter des prisonniers de qualité – commander à deux paysans et à son propre domestique, escorter une dame attachée à sa selle et un gentilhomme confiné dans sa litière. Une occupation bien honteuse pour un chevalier. Tomas avait imaginé des otages étrangers ou, au pire, des rebelles de noble rang. Accroupi, il se vêtit à la hâte, dégaina son épée et entreprit de monter vers la route.
Les yeux de Raquel s’écarquillèrent, et elle se tourna vers Romeu.
— Butor ! dit-elle à voix très haute. Ma patiente a besoin d’assistance. Quelle que soit la raison pour laquelle vous nous avez enlevées, même vous pouvez comprendre qu’il n’est pas de votre intérêt de nous maltraiter. Je vous assure, nous avons des amis…
— Taisez-vous ! dit Romeu d’un ton sec.
Tomas délogea un petit rocher qui roula bruyamment au pied de la colline.
— … qui vous rendront la vie misérable, poursuivit Raquel du plus fort qu’elle le pouvait. J’insiste pour que vous m’autorisiez à mettre pied à terre. Si vous voulez…
— Silence ! beugla Romeu en quittant sa selle. J’ai entendu quelque chose.
— Ridicule, s’empressa de dire Raquel.
— Romeu, mon ami, fit calmement Tomas. Retourne-toi et justifie-toi avant que je ne te plante ce fer dans le dos.
Quand Romeu se retourna pour lui faire face, son épée était déjà prête.
— C’est le petit maître, fit-il d’un air méprisant.
— Lâche ton arme et libère cette femme, dit Tomas d’un ton assuré.
— Allons, allons, petit maître. Je vais vous donner un bon conseil. Ne risquez pas votre jeune vie pour si peu. Retournez à votre finca et nous oublierons tout ceci. Vous vous mêlez d’affaires auxquelles vous ne comprenez rien.
— Lâche ton arme, répéta Tomas de la même voix.
— Ne soyez pas ridicule, dit Romeu.
Et il plongea sur lui.
Quoique Romeu fût aussi vif et aussi fort que Tomas – mais bien plus versé dans les intrigues politiques –, il n’avait pas, comme Tomas, été initié dès l’âge de sept ans aux bonnes manières, à la morale et à l’art de la guerre par un oncle paternel. À treize ans, Tomas s’était rendu à Majorque aux côtés de son oncle afin de reprendre l’île pour son roi. À dix-sept ans, il s’était battu contre les Uniones à Valence et avait été blessé en défendant le droit au trône de Pedro. Il avait pansé ses blessures jusqu’à ce que son oncle Castellbo lui trouve ce nouveau poste, qui lui avait permis de naviguer dans l’univers étrange et hostile de la cour. Toutefois, il lui suffisait d’avoir une épée à la main pour savoir qu’en faire.
Il attaqua avec la froide habileté que lui avaient enseignée ses maîtres réputés, avec la colère et la frustration qui s’étaient accumulées en lui depuis quatre jours, avec la joie un peu sauvage de pouvoir enfin voir le visage de son ennemi. Il para facilement la première botte de Romeu. Il en alla de même pour la seconde. Tomas enchaîna feintes et attaques, ses mouvements étaient rapides et il agissait selon un plan bien précis. Romeu était assez doué, mais limité par sa suffisance et la conviction que son maître n’était qu’un jeune fou. Tomas le poussa vers le bord de la route et le toucha au bras gauche. Romeu recula et Tomas le
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