Le glaive de l'archange
poursuivit parmi les pierres, mais il tituba et fut légèrement touché à l’avant-bras. Il changea alors de terrain, fit une feinte et toucha Romeu au front. L’air surpris, Romeu leva la main pour effleurer sa blessure, et Tomas en profita pour se jeter sur lui.
Romeu s’écroula, mortellement touché à la poitrine. Tomas retira son épée, l’essuya lentement et la remit au fourreau.
— Voilà ce qui arrive quand on tire l’épée contre moi, Romeu, dit-il avec froideur. Et tu as eu tort de m’impliquer dans ta trahison.
Un bruit de sabots vint le distraire momentanément. Il tourna la tête pour voir l’individu monté sur le beau cheval disparaître, pris de panique. Le serviteur à pied ne se trouvait nulle part. À nouveau, il consacra son attention à Romeu :
— As-tu tué Sanxia ?
— Non, petit maître, dit Romeu, qui cherchait son souffle. Et j’ignore qui a bien pu faire ça. Elle n’était pas censée mourir. Pas pour l’instant.
Il toussa et un peu de sang coula de sa bouche. Il ouvrit tout grand les yeux.
— Et je ne sais pas qui a tué Maria, chuchota-t-il. Elle se trouvait de l’autre côté de la ville, loin de notre lieu de rencontre. Elle m’a trahi et a été tuée par quelque voleur de passage.
Il eut un rire sardonique, toussa et se tut à jamais.
Bellmunt plaça les mains de Romeu sur sa poitrine, se signa, murmura une prière et s’empressa de revenir vers la jeune femme.
— Madame, dit-il en s’inclinant, Tomas de Bellmunt, à votre service.
Il entreprit de dénouer ses liens.
— Je ne sais pourquoi, mais mon serviteur, qui gît désormais dans ce champ, semble vous avoir retenue prisonnière…
— Nous avons été enlevées, trancha Raquel, furieuse. Arrachées à la protection des sœurs du couvent de Sant Daniel alors que nous étions inconscientes. Pourquoi ?
— Je n’en sais rien, se hâta de dire Tomas. Je vous le jure. Je prenais Romeu pour un honnête homme. J’ai eu tort. Et il a payé pour sa trahison.
Raquel se frotta énergiquement les poignets.
— Dame Isabel est très mal. Elle a besoin d’attention et de repos et ne doit surtout pas être emmenée par monts et par vaux.
Elle regarda le sol, guère à l’aise, consciente de savoir mieux guérir les maux que monter à cheval. Elle lança un regard hautain à son sauveteur, rougit d’embarras, ramena sa jambe droite sous sa jupe et la fit passer par-dessus le dos de la jument. Brusquement, elle posa la main sur l’épaule de Tomas et sauta à bas de la monture docile. Elle lissa ses jupes d’un geste rapide et courut jusqu’à dame Isabel.
Se rappelant la demande qu’elle avait formulée, Tomas se hâta vers la rivière pour remplir d’eau froide sa gourde de cuir. Il suivit la jeune femme jusqu’à la litière.
— J’ai entendu que vous vouliez de l’eau. Puis-je vous en offrir ? J’irai en rechercher si vous le désirez.
— Qui est-ce, Raquel ?
La voix qui venait de derrière les rideaux tirés de la litière était faible, et surtout très douce.
— Tomas de Bellmunt, madame. C’est son serviteur qui nous a enlevées.
— Mais pas sur mon ordre, je le jure ! s’écria Tomas. Je ne puis imaginer pourquoi l’on voudrait vous ravir. J’ignore quel était le but de Romeu, madame, mais il a payé chèrement sa vilenie. Je l’ai tué, madame, ajouta-t-il sobrement. Quoi que je puisse faire pour atténuer vos souffrances, je le ferai volontiers.
— Je voudrais de l’eau, dit la voix derrière les rideaux.
Raquel les écarta et prit un gobelet. Elle le tendit à Tomas, qui le remplit.
Quand elle eut complètement repoussé les rideaux, Tomas découvrit un visage pâle comme la mort ceint d’épais cheveux qui lui rappelaient le miel, le blé mûr et les feuilles de hêtre à l’automne. Ses yeux sombres étaient doux et lumineux. Elle sourit, et Doña Sanxia s’envola à tout jamais de ses souvenirs. Il avait l’impression d’avoir toujours connu cette belle dame aux sourcils bien dessinés et au nez si fin. Elle ressemblait à l’image d’un saint, à une statue de marbre, à… à Sa Majesté le roi. Son cœur défaillit.
Elle but au gobelet, puis le repoussa.
— Merci, Don Tomas, murmura-t-elle. Pour l’eau et pour nous avoir sauvées. Je suis Isabel d’Empuries, et ma compagne…
Elle toussa et reprit un peu d’eau.
— Je suis Raquel, la fille d’Isaac le médecin, se présenta-t-elle tandis que Tomas remplissait
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