Le glaive de l'archange
que tous les habits du couvent me soient apportés afin que je les inspecte et décide s’ils doivent être nettoyés, ravaudés et couchés dans la lavande pour les protéger des mites. Nous découvrirons bientôt ceux qui manquent. Cela me dira peut-être qui a eu l’occasion de les dérober et, partant, nous découvrirons qui sont ces imposteurs. Voilà qui nous apprendra enfin quelque chose.
Elle s’assit, brusquement fatiguée.
— Vous aviez parlé d’amener ici l’infant Johan pour qu’il soit en sécurité.
— J’hésite, dit Berenguer. Tant que nous n’en savons pas plus… En le conduisant ici, nous le jetons peut-être dans l’antre du lion…
— De la lionne, corrigea Elicsenda d’un air absent. Je suis d’accord. J’aimerais que cela se passe autrement, mais ce n’est pas le cas. Il est hors de danger ?
— Je le crois. Apparemment, ils ignorent qui ils abritent, et leur ignorance le protège.
Tomas se trouvait dans la cour poussiéreuse de l’auberge, en plein soleil, et se demandait ce qu’il allait bien pouvoir faire. Il avait déjà envahi les cuisines et harcelé la femme de l’aubergiste, penchée sur ses marmites, jusqu’à ce qu’elle lui promette de préparer un repas si nourrissant et si délicat que dame Isabel serait capable de le manger et guérirait instantanément. Il avait aussi demandé à trois reprises à la jeune servante de monter à la chambre, chargée de vin, de fruits et de petits gâteaux. Il envisageait à présent de seller Castanya et de partir à la recherche d’une certaine source réputée pour ses pouvoirs miraculeux afin de rapporter cette eau unique à la malade. Le problème, c’était que, selon la fille du médecin, dame Isabel souhaitait qu’il attendît jusqu’à ce qu’elle fût capable de lui parler. Il serait ensuite libre de partir pour Gérone et d’annoncer que tout allait bien. Que se passerait-il si elle demandait à le voir pendant qu’il battait la campagne en quête de cette fameuse source ? Il valait mieux qu’il reste là. La sueur coulait sur son front. Et il serait plus sage qu’il attende à l’ombre.
Pourquoi était-il sorti, d’ailleurs ? Les chevaux. Il voulait s’assurer que le garçon d’écurie en prenait bien soin. Il se dirigea donc vers les stalles.
Tomas n’avait pas entièrement recouvré ses esprits depuis le moment où chacun avait compris que dame Isabel devrait être portée jusqu’à sa chambre. Raquel avait constaté que sa patiente avait beaucoup de mal à s’asseoir dans sa litière. « Elle est trop faible, lui avait-elle dit, il va falloir que quelqu’un la porte. »
Dans un brouillard, Tomas avait pris dame Isabel et l’avait emportée tout en haut de l’escalier, jusque dans sa chambre. Avec une infinie délicatesse, comme s’il s’agissait de l’œuf très précieux d’un oiseau fabuleux, il l’avait déposée sur le lit qu’on lui avait préparé. Il s’était incliné et s’était retiré, mais l’empreinte de son corps souple sur ses bras lui avait fait l’effet d’un fer rouge à la marque indélébile.
Dès cet instant, il s’était senti prêt à chevaucher jusqu’à Gérone ou même Jérusalem si elle le lui avait demandé. Ce qu’elle exigeait de lui était cependant bien plus difficile. Raquel était redescendue, un sourire aux lèvres, pour lui apprendre que dame Isabel se reposait. Attendrait-il qu’elle pût lui parler avant que de partir pour Gérone ? Attendrait-il ? Oui, s’il le fallait, il attendrait jusqu’à ce que les murailles de Barcelone tombent en poussière.
Peu de temps après, dans la chambre à coucher, une dame Isabel étonnamment revigorée était engagée dans une controverse polie mais déterminée.
— Voyons, madame, lui disait Raquel, il y a une heure vous étiez trop faible pour vous asseoir dans votre litière, et voici que vous voulez vous lever pour recevoir Don Tomas ?
— Oui, fit Isabel. Avant de dormir, ma tête me faisait souffrir et je me sentais mal de cette terrible potion que l’on nous a fait boire. Le repos et un peu de vin et d’eau ont soigné cela. J’avais repris un peu de forces hier, vous vous en souvenez, et je me sens encore mieux aujourd’hui. Raquel, je vous en prie, aidez-moi à me préparer. Sinon je devrai dépendre de cette pitoyable petite fille.
Elle rit.
— Croyez-vous que je pourrais lui enseigner à me coiffer à la mode de France ?
Raquel n’allait pas
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