Le glaive de l'archange
an. Mon oncle me l’avait recommandé. Il disait que j’avais besoin de quelqu’un qui connût les dédales de la cour…
Il devint écarlate à l’aveu de son impréparation.
— J’étais un soldat, reconnut-il. Pas un courtisan.
— C’est très clair, dit doucement dame Isabel. Seul un soldat d’expérience aurait été assez brave pour attaquer trois hommes et les mettre en déroute. Nous vous devons beaucoup, Don Tomas, fit-elle en retombant sur ses coussins.
— Il nous faut demander à Don Tomas de partir pour Gérone, madame, lui rappela Raquel. L’après-midi avance.
— Quels messages puis-je porter pour vous à Gérone, madame ? Je ne dois pas m’attarder ici. Vos amis doivent être morts d’inquiétude.
— C’est vrai, reconnut Raquel. Mon pauvre papa… Il faut lui dire que nous sommes saines et sauves.
— Pas votre mère ? s’étonna dame Isabel.
— Ma mère a les jumeaux, la maison et les serviteurs qui lui occupent tout son temps. Papa n’a que moi. Il a besoin de mon secours dans pratiquement tout ce qu’il fait.
— Je vous prie de m’excuser de vous avoir retenu, Don Tomas, dit dame Isabel. J’avais oublié que nous étions les seuls à savoir que nous allions bien. Si vous acceptiez de vous rendre chez mon oncle, l’évêque, et de lui répéter tout ce que nous vous avons raconté…
— Il informera mon père, dit Raquel.
— Et le mien aussi, sans aucun doute, ajouta Isabel avec une dureté de ton qui ne présageait rien de bon pour ses ravisseurs. Ainsi que le couvent, bien entendu.
Tomas prit congé et descendit l’escalier. Isabel soupira et regarda sa soignante d’un air coupable.
— Je suis désespérément lasse, Raquel. Pouvez-vous m’aider à regagner mon lit ?
Raquel s’abstint de toute remarque.
CHAPITRE XI
Isaac traversa le pré en direction de la ville, s’aidant du pied et du bâton pour retrouver son chemin sur le sol inégal. Il rappelait à sa mémoire bien disciplinée chacune des paroles prononcées par le Glaive. Il éprouvait plus d’étonnement que de peur. Dans ce champ, par un après-midi aussi ensoleillé, la menace proférée à son égard lui apparaissait comme bien lointaine, irréelle, même si Isaac avait conscience que cet individu pouvait le supprimer sans sourciller. Non, ce n’était pas la crainte de la mort qui le troublait. Converser avec un dément – tout particulièrement avec un dément qui veut vous tuer – peut avoir quelque chose de perturbant, mais Isaac était habitué aux fantaisies des âmes dérangées. Peut-être était-ce le manque d’hostilité dans sa voix qui le troublait le plus. Tuer Isaac était une tâche désagréable mais nécessaire qu’il avait acceptée de remplir, comme lorsqu’on débarrasse un grenier des rats qui l’occupent. C’était extrêmement simple, songea-t-il avec un pauvre sourire. Aux yeux du Glaive, Isaac n’était pas humain.
Pourtant le Glaive ne passerait pas encore à l’acte. Il avait été très clair sur ce point. Il attendait quelque chose, une autre action à mener, avant d’avoir le loisir de s’occuper du médecin. Isaac avait le temps de se préparer. Mais qu’avait-il l’intention de faire ?
Un sentiment de profonde impuissance s’abattit sur lui, et il en tituba. Son bâton lui permit de se rattraper et il poursuivit son chemin. Il comprit soudainement que la conviction qui lui servait de soutien, de point d’appui, depuis cinq ans – à savoir que lui, Isaac, contrairement aux autres hommes, pouvait maîtriser sa propre destinée en dépit de la cécité et des ravages de la peste qui l’entouraient –, cette conviction n’était rien d’autre qu’un mirage. Que pouvait-il faire face au Glaive ?
Il pouvait ignorer sa menace, prendre soin au cours des semaines à venir de ne pas parcourir seul les ruelles de la ville. Il pouvait aussi aller trouver l’évêque ou même le conseil municipal et déclencher une alarme générale. Ensemble, les officiers des autorités civiles et ecclésiastiques pourraient affronter un soldat devenu fou. Il leur dirait… Que leur dirait-il ? Qu’un homme aux longues jambes, qui boitait légèrement et armé d’une épée, qu’un homme dont lui seul, Isaac, pouvait reconnaître la voix et l’odeur, que cet homme-là était un dangereux boucher ? Bien sûr, il ne pourrait pas le décrire. Il n’avait aucune idée de ce à quoi il ressemblait.
— Isaac, dit-il à voix
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