Le grand voyage
matinée, et les
subtils changements qu’Ayla avait remarqués la veille s’amplifièrent soudain.
On voyait moins de marais, moins d’îles et davantage d’eau. Le bras nord du
delta perdit son réseau de chenaux, et sans crier gare, il s’unit à un des bras
centraux et doubla de largeur. Un peu en amont, le bras méridional, qui s’était
déjà joint à l’autre bras central, établit la jonction et les quatre bras ne
formèrent plus qu’un seul et même fleuve immense.
La Grand Rivière Mère, après avoir traversé un continent entier,
gonflée de centaines d’affluents et des eaux de fonte de deux chaînes de
glaciers, se trouvait bloquée vers le sud dans son accès à la mer par le socle
granitique d’anciennes montagnes érodées. Sous la pression gigantesque de ses
eaux déferlantes, le fleuve avait fini par percer la roche. Étranglée dans ces
gorges étroites, la Grande Mère avait repris de la puissance pour creuser un
méandre aigu avant de former un vaste delta jusqu’à la mer.
C’était la première fois qu’Ayla voyait l’énorme fleuve dans
toute sa splendeur, et même Jondalar, qui était pourtant passé par là, n’avait
pas eu la chance de le contempler sous une telle perspective. Abasourdis, ils
se laissèrent captiver par le spectacle. L’énorme étendue d’eau rappelait plus
la mer qu’un simple fleuve, et la surface tumultueuse et miroitante ne
trahissait qu’une infime partie du pouvoir dévastateur qu’abritaient ses
profondeurs.
Ayla remarqua une branche d’arbre qui flottait vers eux, simple
brindille portée par les flots, mais un curieux détail attira son
attention : elle avançait trop lentement. Ayla retint son souffle. Ce qu’elle
voyait passer, ce n’était pas une branche, mais un arbre tout entier ! L’arbre
le plus grand qu’elle eût jamais vu.
— Voilà la Grande Rivière Mère, dit simplement Jondalar.
Il l’avait déjà suivie sur toute sa longueur, et savait quelle distance
elle avait parcouru, les régions qu’elle avait traversées, et tout le chemin qu’il
leur restait avant d’achever leur Voyage. Bien qu’Ayla n’en saisît pas toutes
les implications, elle comprenait que la Rivière Mère, parvenue au terme de son
Voyage, atteignait son apogée et ne serait plus jamais aussi Grande.
Ils remontaient le fleuve gonflé d’eau, laissant derrière
eux l’embouchure et sa touffeur, et avec elle une bonne partie des insectes qui
les empoisonnaient. Ils s’aperçurent bientôt qu’ils abandonnaient aussi les
vastes steppes. Prairies et marécages cédaient la place à des collines boisées,
entrecoupées de prés verdoyants.
A l’ombre des arbres, la température était plus fraîche. Ce
changement leur procura un tel plaisir, qu’arrivant à un grand lac cerné de
bois, et bordé par un joli pré, ils furent tentés de planter leur campement
malgré l’heure prématurée. Ils chevauchèrent le long d’un ruisseau qui menait à
une plage de sable, mais en l’approchant, Loup se mit à gronder, poils
hérissés, à l’arrêt. Ayla et Jondalar étudièrent les environs, à la recherche
du danger qui troublait le jeune animal.
— Je ne vois rien de particulier, s’étonna Ayla. Mais Loup
a senti quelque chose d’inquiétant.
— De toute façon, il est trop tôt pour camper. Allons-nous-en !
décida Jondalar après un dernier coup d’œil au lac accueillant.
Il fit faire volte-face à Rapide et se dirigea vers le fleuve.
Loup s’attarda avant de les rejoindre.
Ils traversèrent des petits bois agréables et Jondalar ne
regretta pas sa décision. Au cours de l’après-midi, ils rencontrèrent des lacs
de toutes tailles. La région en était pleine. Il ne comprenait pas pourquoi il
ne reconnaissait pas ce passage, lorsqu’il se souvint qu’avec Thonolan, ils
avaient descendu le fleuve dans un bateau des Ramudoï, ne s’arrêtant qu’occasionnellement
sur les rives.
Pourtant, il pensait que la région se prêtait à la vie humaine.
Il ne se rappelait pas si les Ramudoï lui avaient parlé d’autres Peuples du
Fleuve vivant dans les parages. Il se garda bien de faire part de ses pensées à
Ayla. Si l’endroit était habité, personne ne daigna se montrer. Pourtant
Jondalar se demandait ce qui avait pu inquiéter Loup. Avait-il reniflé l’odeur
d’humains apeurés ? Ou bien hostiles ?
Le soleil se cachait déjà derrière les montagnes qui se
profilaient à l’horizon quand ils s’arrêtèrent au
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