Le grand voyage
tête, et il se demandait lequel se prêtait le mieux à
la forme de ce morceau de silex. L’une des arêtes était droite, l’autre quelque
peu ondulée. Il commença par émousser l’arête irrégulière en la raclant avec sa
masse de pierre, mais ne toucha pas à l’autre. Ensuite, avec l’extrémité
effilée d’un morceau de fémur, il écailla soigneusement l’angle arrondi jusqu’à
le rendre pointu. Avec un tendon, de la glu ou de la poix, et divers objets
auxquels l’attacher, il aurait pu fabriquer un manche, mais tel quel, il avait
obtenu un couteau convenable.
Pendant qu’on se passait le couteau de main en main et qu’on
testait son tranchant sur le poil d’un bras ou sur du cuir, Jondalar prit une
deuxième lame de silex. Au milieu, les deux arêtes se resserraient. Avec le
bout noueux d’un morceau de fémur, il en pressa précautionneusement et à petits
coups le bord le plus tranchant pour l’émousser légèrement, mais surtout le
renforcer, confectionnant ainsi un racloir qui servirait à façonner des pièces
de bois ou d’os. Il leur montra à quoi servait l’outil et le fit circuler.
Il prit la lame suivante, et en émoussa les deux arêtes pour qu’on
pût saisir facilement l’outil. Puis, de deux coups bien appliqués sur l’extrémité
arrondie, il détacha deux éclats, obtenant une pointe aiguë comme un ciseau.
Pour la gouverne des spectateurs, il se livra à une petite démonstration :
il creusa un sillon dans la longueur d’un os et repassa plusieurs fois dedans
pour l’approfondir, enlevant par là même de petits copeaux. Il leur expliqua
alors comment tailler une hampe, un manche ou une pointe, qu’on polissait
ensuite.
La démonstration de Jondalar fut comme une révélation. Personne
parmi les garçons, ni les hommes les plus jeunes, n’avait jamais vu de tailleur
de silex à l’œuvre, et les plus vieux n’en avaient pas connu d’aussi
expérimenté. La veille, dans les dernières lueurs du jour, Jondalar avait
réussi à cliver une trentaine de lames dans le nodule. Le lendemain, presque
tout le monde avait essayé un ou plusieurs des nouveaux outils qu’il avait
fabriqués à partir de ces lames.
Il tenta ensuite de leur décrire l’arme de chasse qu’il voulait
fabriquer. Certains comprirent immédiatement, même s’ils le questionnaient
invariablement sur la précision et la vitesse qu’il prétendait obtenir d’une
sagaie lancée à l’aide d’un propulseur. D’autres ne semblaient pas saisir le
concept.
Dès qu’ils eurent entre leurs mains des outils, les hommes se
sentirent enfin utiles. De plus, toute activité qui s’opposait à Attaroa et aux
conditions misérables qu’elle leur imposait balayait le désespoir qui s’était
abattu sur le Camp des Hommes et permettait aux captifs d’entrevoir la
possibilité d’influer sur leur destin.
— Epadoa sentit un changement dans l’attitude des
prisonniers, et elle se douta qu’ils fomentaient quelque chose. Ils allaient d’un
pas plus léger, souriaient trop souvent, mais elle eut beau les surveiller,
elle ne découvrit rien de suspect. Les hommes avaient pris soin de cacher les
couteaux, les racloirs, les ciseaux que Jondalar avait fabriqués, ainsi que les
objets qu’ils avaient confectionnés avec, mais aussi les débris résultant de
leur travail. Le moindre éclat de silex, le plus petit copeau de bois ou d’os
avait été enterré sous l’auvent et recouvert d’une planche ou d’une pièce de
cuir.
Mais ce fut surtout pour les deux estropiés que la vie changea.
Jondalar ne leur avait pas seulement montré comment faire les outils, il leur
en avait fabriqué de spéciaux et leur expliquait comment s’en servir. Ils
cessèrent de se dissimuler dans l’ombre sous l’auvent et commencèrent à
fréquenter d’autres garçons plus âgés. Tous deux idolâtraient Jondalar, surtout
Doban, assez grand pour profiter davantage de son enseignement, même s’il s’efforçait
de cacher son admiration.
Élevé par une femme privée de raison comme Attaroa, Ardoban s’était
toujours senti à la merci de circonstances échappant à son contrôle et avait
beaucoup souffert de cette impuissance. Profondément ancrée en lui, la peur que
quelque chose de terrible pût lui arriver ne l’avait jamais quitté, et après l’atroce
souffrance et le traumatisme terrifiant qu’il avait subis il restait convaincu
que la vie ne lui apporterait que des malheurs. Il souhaitait
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