Le grand voyage
chevaux, et répugnait à profiter des
peurs irrationnelles des S’Armunaï. Elle avait l’impression de tricher. Mais
leur vie était en jeu, de même que celle des enfants et des hommes de l’Enclos.
La situation était délicate. Ayla devait choisir entre deux
maux. Elle avait été la première à insister pour revenir au secours de ceux de
l’Enclos, même au péril de leur vie, mais il lui fallait combattre son exigence
de sincérité. Elle devait choisir le moindre mal et s’adapter. Sinon, ils n’auraient
aucune chance de sauver les enfants et les hommes du Camp, ni eux-mêmes, de la
folie d’Attaroa.
— Ayla, murmura Jondalar. Ayla ? répéta-t-il devant
son silence.
— Hein... oui ?
— Je te demandais ce que tu comptais faire de Loup.
Penses-tu l’emmener au Camp ?
Ayla prit le temps de réfléchir.
— Non, je ne crois pas. Elles savent pour les chevaux, mais
pas pour le loup, et vu ce qu’elles font des loups, je n’ai pas envie qu’elles
l’approchent de trop près. Je lui dirai de rester caché. Il m’écoutera, s’il
peut m’apercevoir de temps en temps.
— Mais où ? Les environs du Camp sont à découvert.
— Loup restera là où je m’étais postée pour t’observer. On
y parvient en contournant la colline. Il y a un cours d’eau bordé d’arbres et
de fourrés dans la montée. Tu pourras m’y attendre avec les chevaux. Ensuite,
nous ferons un détour pour arriver au Camp par une autre direction.
Personne ne vit les deux cavaliers sortir du bois. Les
premières qui aperçurent l’homme et la femme à cheval traverser le pré au petit
galop, eurent l’impression d’une apparition soudaine. Lorsqu’ils atteignirent l’habitation
d’Attaroa, tous ceux qui pouvaient aller librement à l’intérieur du Camp s’étaient
rassemblés. Les hommes, agglutinés derrière l’Enclos, les observaient par les
plus petites fentes de la palissade.
Attaroa, campée sur ses jambes écartées, les mains sur les
hanches, les attendait dans sa pose préférée. Bien qu’elle s’efforçât de le
cacher, elle était très troublée de les revoir. Les rares fois où quelqu’un
avait réussi à lui échapper, il s’était enfui sans demander son reste. Personne
n’était encore revenu de son plein gré. Quel pouvoir possédaient ces deux-là
pour avoir l’audace de se représenter devant elle ? Inquiète des
éventuelles représailles de la Grande Mère et de Son monde des esprits, Attaroa
s’interrogeait sur la signification du retour de la femme énigmatique et du
géant. C’est pourtant d’une voix ferme qu’elle les accueillit.
— Ainsi, vous avez décidé de revenir ? fit-elle
simplement en faisant signe à S’Armuna de traduire.
Jondalar crut déceler de la surprise sur le visage de la
chamane, et aussi du soulagement. Avant de traduire, elle s’adressa directement
aux deux cavaliers.
— Quoi qu’elle vous promette, je te conseille de ne pas
rester dans son foyer, fils de Marthona. Mon invitation tient toujours pour
tous les deux, ajouta-t-elle avant de leur transmettre les propos d’Attaroa.
La Femme Qui Ordonne la lorgna, persuadée qu’elle n’avait pas
simplement traduit ses paroles.
— Mais pourquoi ne serions-nous pas revenus, Attaroa ?
N’étions-nous pas conviés à un festin donné en notre honneur ? s’étonna
Ayla. Nous avons d’ailleurs apporté notre contribution.
Pendant la traduction, Ayla se laissa glisser de cheval, et prit
le plus gros récipient qu’elle déposa entre Attaroa et S’Armuna. Elle souleva
le couvercle tressé, et aussitôt s’éleva un arôme délicieux que tout le monde
huma en salivant. On avait rarement eu l’occasion d’être pareillement traité
ces dernières années, et surtout en hiver. Même Attaroa en resta interdite.
— On dirait qu’il y en a pour tout le monde, fit-elle.
— Celui-ci est pour les femmes et les enfants, rectifia
Ayla, avant de soulever le couvercle de l’autre récipient que Jondalar venait
de déposer à côté du premier. Et celui-là est pour les hommes.
Un murmure s’éleva de l’Enclos, auquel s’ajoutèrent les cris de
surprise des femmes, accourues de leurs foyers. Attaroa fulminait.
— Que veux-tu dire, pour les hommes ?
— Lorsque le chef d’un Camp organise un festin en l’honneur
de visiteurs, tout le monde est convié, sans doute ? J’ai cru que tu
commandais au Camp tout entier, et que je devais apporter assez pour tous.
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