Le Hors Venu
et, comme à chaque fois, cela la rassura. Puis, alors qu’elle remettait de l’ordre dans sa toilette et qu’elle remontait ses cheveux en chignon, ses pensées revinrent aux derniers événements.
On l’avait enfermée dans ses appartements avec son domestique, le vieux Gautier, et le chien. Les seules visites étaient celles des esclaves qui faisaient le ménage et d’un homme qui s’occupait de Tara, hormis cela, il ne se passait rien et Eleonor, après une période d’abattement, commençait à enrager de cet emprisonnement. Seul Gautier y trouvait son compte, tantôt buvant, tantôt ronflant sur sa paillasse.
Les pas s’étaient arrêtés devant la porte. On frappait. Le cœur battant, Eleonor cria d’entrer. Une clé tourna dans la serrure et un homme apparut... qu’elle n’avait pas vu depuis des mois.
— Messire Bartolomeo d’Avellino ! s’exclama-t-elle, stupéfaite.
Tout comme elle passager vers la Sicile, le chevalier d’Avellino avait disparu à l’escale de La Rochelle. Il s’inclina avec courtoisie, attendant qu’elle l’autorise à entrer. Après la fouille de la Kalsa menée avec le maître capitaine, il avait pris la route de Cefalù à bride abattue.
— Pardonnez-moi cette intrusion, damoiselle Eleonor, déclara-t-il. J’aurais dû me faire annoncer.
Ces quelques mots eurent sur la jeune femme un effet inverse de celui escompté. Cela faisait si longtemps qu’elle supportait sa détention sans récriminer qu’elle répliqua sèchement :
— Comment refuser l’entrée à quelqu’un qui possède la clé de mes appartements ? Il est vrai que je suis si contente d’avoir un visiteur que je suis prête à oublier tous les protocoles. Prenez place, je vous prie.
Le chevalier, un instant désarçonné par la froideur de l’accueil, tira un des sièges à lui et s’assit.
— Seriez-vous, par hasard, devenu mon geôlier ? poursuivit Eleonor sur le même ton.
Les paroles de mise en garde prononcées par Hugues pendant la traversée lui revenaient en mémoire : « Sachez, avait dit l’Oriental, qu’après avoir été longtemps frères d’armes, nous sommes devenus ennemis. Il y a entre nous bien des cadavres et je sais qu’il y en aura d’autres. » Quoique d’Avellino se soit toujours montré charmant, elle n’avait jamais oublié ce singulier avertissement.
— Ne vous fâchez pas, damoiselle, et pardonnez-moi. Il est vrai que tout ceci doit vous paraître fort incongru. Mais vous n’êtes pas prisonnière, je vous l’assure.
— Enfermée à double tour sans avoir la possibilité de sortir... Vous appelez cela comment en Sicile ?
Le chevalier leva les mains en signe de reddition.
— Laissez-moi vous expliquer. Je ne sais si vous vous souvenez... Je vous ai dit que j’étais un proche du comte Sylvestre de Marsico.
— Je me souviens parfaitement de nos conversations à bord de l’esnèque, mais cela ne m’explique pas pourquoi mon futur époux vous a confié ces clés.
— Voici quelques jours, alors que je rentrais à mon palais, poursuivit Bartolomeo sans se troubler, j’ai trouvé un message de la main du sire de Marsico ainsi que ce trousseau.
— Un message ! Vous avez eu plus de chance que moi !
— N’en voulez pas à votre fiancé, damoiselle, il ne songe qu’à vous, je vous l’assure. Le royaume de Sicile a été mis à mal ces derniers temps et votre futur époux a dû partir en Calabre avec le roi Guillaume I er . Il sera bientôt de retour. En attendant, il m’a demandé de prendre soin de vous.
— Vraiment ? Et comment cela ?
— Tout d’abord, bien que cette maison appartienne à votre futur époux, elle est peu digne de votre rang. Le comte désire qu’en attendant sa venue je vous mène en mon palais avec votre serviteur et... votre chien. Vous y aurez de somptueux appartements et un jardin où vous pourrez vous promener.
Au lieu de répondre, Eleonor se leva, une vive rougeur colorant ses pommettes. La colère qu’elle avait si longtemps contenue menaçait d’éclater. Elle en avait assez de cet emprisonnement qu’elle devait subir, de ces événements qu’elle ne comprenait pas.
— Ai-je dit quelque chose qui vous a déplu ? demanda le chevalier.
— Non, messire, non, protesta Eleonor, s’efforçant de parler calmement. Mais avouez que tout cela est plutôt singulier. Un époux qui ne vient pas, un enfermement prolongé et vous, que j’ai croisé lors de mon voyage, qui me
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