Le Hors Venu
Il dégaina son sabre et s’immobilisa, les sens aux aguets. En vain. Aucun bruit, pas un mouvement, pas un souffle, il était seul. Il s’approcha et se pencha au-dessus des corps, réalisant soudain que l’un d’entre eux n’était pas un de ses soldats. Il était trop tard, l’autre s’était dressé d’un bond et lui avait enfoncé sa lame dans la gorge jusqu’à la garde.
Quand la victime bascula en avant, elle était déjà morte. Il ne s’attarda pas à la contempler. Il détacha le trousseau de clés de la ceinture de l’officier, courut chercher le dernier flambeau et ouvrit la porte de fer menant à la salle du Trésor.
La pièce était vaste et la torche n’en éclairait qu’une partie. Malgré cela, ce qui attirait l’œil était un scintillement doré, un miroitement d’argent. Le meurtrier déplaça le halo de lumière, éveillant des éclairs violines, rouges, jaunes... Partout des coffres, des vases, des reliquaires, des parures, des colliers, des armes aux fourreaux rehaussés de pierreries, dans lesquels se reflétait la torche. Et aux quatre coins, ces immenses jarres fixées dans le pavage d’où ruisselaient des monceaux de pièces d’or...
Il tira les cadavres à l’intérieur de la salle, referma derrière lui, puis se tourna enfin vers ce qu’il était venu chercher.
Posée sur un buste de pierre au centre, elle brillait de mille feux.
La couronne de Roger IL Une couronne à pendentifs, inspirée du kamelaukion des empereurs de Byzance, ornée de rangs de perles brodées et de pierreries serties sur une calotte d’argent doré. Turquoises, saphirs, rubis, grenats, émeraudes, améthystes... Les cabochons de pierres précieuses étincelaient... Il tendit la main, ses doigts tremblaient... Un sentiment de sacrilège l’envahit. Roger II avait porté cette coiffe avec le manteau d’apparat couleur de sang. Son fils aussi. Leurs descendants, un jour... Un frémissement parcourut son corps. Elle était à lui. Sans elle, le roi serait la risée de ses barons et une partie de sa vengeance s’accomplirait. Un nouveau coup de tonnerre retentit. Les parois de la tour Pisane vibrèrent. La foudre était tombée.
28
Dès que les hommes de la garde débouchèrent dans le couloir, ils sonnèrent l’alerte. Les torches étaient éteintes et les abords du Trésor baignaient dans l’obscurité la plus totale. Sur le pavage, devant la porte de la salle, ils trouvèrent des traînées brunâtres, mais aucune trace de ceux qu’ils devaient relever.
Simon, le maître capitaine du palais, arriva bientôt avec l’émir des émirs. Quand ils poussèrent le vantail, les cadavres étaient déjà raides, le message rédigé en arabe était posé sur le corps de l’officier :
Maion de Bari blêmit en voyant le buste de pierre vide.
— On ferme cette salle ! s’écria-t-il.
— Mais les corps ? On ne...
— On laisse en l’état et personne n’entre ! Vous, dehors !
Les soldats sortirent. Maion ferma à double tour et empocha son trousseau.
— Je veux dix gardes devant cette porte. Je vais prévenir le roi.
Simon s’inclina devant son beau-frère. L’émir avait déjà tourné les talons, s’éloignant d’un pas décidé. Un murmure courut parmi les guerriers que fit taire aussitôt le maître capitaine. Malgré cela, la rumeur gagna le palais tout entier et alla en s’amplifiant.
Un meurtrier frappait impunément. Tout le monde pouvait tomber sous ses coups, même des soldats d’élite comme ceux de la Légion. Il avait déjà tué et venait de recommencer dans l’endroit le plus invraisemblable et le mieux gardé du palais : le Trésor. Pour les uns, c’était un djinn, pour certains, mieux informés, c’était un Assassin aux ordres du Vieux de la Montagne, d’autres disaient que c’était un évadé des prisons royales... Les uns juraient qu’il était musulman, les autres, ismaélien, d’aucuns qu’il était lombard ou normand. Tout le monde avait un avis, personne ne savait rien, et la peur était partout.
29
Guillaume I er , de fort bonne humeur au réveil – la jolie Rochésie avait tenu ses promesses, son goût pour les caresses les plus folles et son insatiable appétit les avaient gardés éveillés jusqu’à l’aube, s’empourpra de rage en écoutant l’émir.
— On est entré dans la salle du Trésor ! tonna-t-il en assenant un coup de poing sur l’accoudoir de son siège. Qu’est-ce qui a été volé ?
Au ton furieux de
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