Le Hors Venu
dans la cour d’entrée. Une dizaine d’hommes d’armes s’y regroupaient, l’air farouche, leurs sabres courbes et leurs poignards à la ceinture, des arcs dans le dos.
— Qu’on selle mes favoris ! ordonna Khalil.
L’un des palefreniers s’approcha et l’émir lui donna des instructions qu’ils n’entendirent pas.
Un garçon sortit bientôt des écuries, tenant par la bride des juments comme jamais Tancrède n’en avait vu. De taille moyenne, elles avaient toutes deux une robe d’un blanc rosé moucheté d’or et une longue crinière soyeuse.
— Des « buveurs de vent », murmura Hugues avec admiration. J’ignorais que tu possédais de tels trésors.
— Elles se nomment Obeya et Koheila. Tu reconnaîtras cette dernière à l’étoile qu’elle arbore sur le front. Elles viennent du Nedj, les montagnes sacrées des Bédouins.
— Et elles portent le nom de deux des juments du Prophète... Elles sont magnifiques, les jambes sont belles, la tête est noble, pas trop petite, les narines minces et dilatées, le port de queue est splendide.
— Oui, et l’épaule est profonde, les muscles des reins montés haut, ce qui leur procure une puissance étonnante. Elles sont à vous.
— Nous ne pouvons accepter un tel présent ! s’écria Hugues. Ce sont là cadeaux de roi !
Les palefreniers avaient jeté sur le dos des juments des selles en cuir de Cordoue d’un rouge profond. Le pommeau et le troussequin étaient plus hauts que sur les selles des Francs et leurs décorations étaient rehaussées de fils d’or et d’argent.
— Je sais, fit l’émir, tu ne veux rien. Mais, par Allah, pourquoi offrir ce qui nous indiffère ? Elles sont à vous et je ne changerai pas d’avis.
Hugues étreignit son ami avec émotion. Tancrède voulut remercier l’émir, mais celui-ci protesta :
— Que le fils de mon duc très aimé ne dise mot. Savoir que j’ai pu le rendre heureux un instant me suffit. Ces juments n’ont d’égal en rapidité que le vent du désert. Quant à ces selles... Il vous faut un harnachement digne de votre rang.
Tancrède s’était approché de l’une des juments qui tendit le museau vers lui.
— C’est Obeya. Elle vous a choisi, fit l’émir qui caressa les naseaux soyeux de l’animal.
Ali réapparut, l’air inquiet :
— Les hommes de la Légion s’impatientent, mon maître. Ils menacent de défoncer la porte si l’on n’ouvre pas immédiatement.
Comme pour confirmer les paroles du serviteur, des coups violents retentirent sur le portail. Aussitôt, les hommes de Khalil entourèrent leur maître et ses invités. Les chevaux étaient sellés. Après un regard vers Hugues qui inclina la tête, l’émir ordonna d’ouvrir les vantails.
Devant eux, dans la ruelle, se pressait une petite troupe à cheval et quelques fantassins. Tous des hommes de la fameuse Légion arabe que Khalil avait si longtemps dirigée. En le reconnaissant, le chef du détachement mit pied à terre. L’homme semblait à la fois gêné par la mission qu’on lui avait confiée et soulagé de ne pas avoir à employer la force. Jeune homme, il avait appris le métier avec Khalil et venir de la sorte frapper à la porte de sa demeure était une offense.
— La paix soit sur vous, émir Khalil. Pardon de vous déranger, mais nous avons des ordres de l’émir des émirs.
— Salut à toi, Mustapha. Les temps sont difficiles, je le sais. Je vois que les années ont fait de toi un chef. Tu en avais l’étoffe.
L’homme s’inclina, ému :
— Par Allah, béni soyez-vous, émir Khalil, je ne suis là que grâce à la qualité de votre enseignement.
— Allah est bon. Que nous veux-tu, Mustapha ?
— A vous, émir, rien. Je suis chargé de mener les sires de Tarse et d’Anaor à la Galca.
— Et sais-tu pourquoi ?
— Non, émir.
Hugues de Tarse s’était avancé, suivi de Tancrède.
— Nos chevaux sont sellés. Nous vous suivons, officier.
Mustapha s’inclina. Khalil et Hugues s’étreignirent une dernière fois, puis l’émir salua Tancrède.
— Soyez béni, fils de notre duc.
Hugues était monté en selle sur Koheila et Tancrède allait l’imiter, mais son maître le dissuada de sauter ainsi qu’il en avait l’habitude.
— Attendez qu’elle s’habitue à vous, Tancrède. Ne la brusquez pas. Elle risque de vous surprendre. Et n’oubliez pas que ce harnachement demande un maniement particulier. Que ce soit la selle ou le mors. Un
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