Le Hors Venu
laquelle était dressée une table.
Les volets étaient fermés à cause de la chaleur et la pièce, très sombre, était éclairée par des dizaines de bougies et de torches. Les flammes se reflétaient dans une luxueuse vaisselle d’or et d’argent. Des coupelles de fruits et des fleurs décoraient la table ainsi qu’une nappe de brocart d’un jaune très pâle.
— Asseyez-vous, damoiselle, mon maître arrive, fit Elvire en écartant le fauteuil afin qu’Eleonor y prenne place.
La jeune Normande obéit et n’eut pas longtemps à attendre. D’Avellino paraissait tout à la fois fatigué et content de lui, et c’est d’un ton enjoué qu’il lui souhaita le bonsoir.
— Que vous semble votre nouvelle demeure, damoiselle de Fierville ?
— Elle est différente de tout ce que je connais, messire. Ici, tout est plus doux, avec un souci de beauté qui n’a rien à voir avec celui de nos rudes contrées normandes. Je comprends que vous soyez attaché à ce palais. Quant à ma chambre, je l’ai trouvée très belle, et je vous en remercie.
Ce qu’Eleonor ne dit pas, c’est qu’elle avait trouvé qu’il planait sur le palais une ambiance sinistre. Heureusement le vieux Gautier, son serviteur, l’avait rejointe un peu après midi. À peu près dessoûlé – il n’avait pas bu depuis Cefalù et Marco lui avait fait comprendre que le vin n’était pas une boisson pour lui –, il avait repris du service, ce qui consistait à discuter avec sa maîtresse et à se promener avec Tara.
La demeure sentait le renfermé, et en certains endroits, les recoins étaient pleins de poussière et de toiles d’araignées comme si elle avait été longtemps inhabitée. Des meubles et tapisseries semblaient là depuis peu. Trop neufs, trop brillants. Avec ça, dame Elvire l’espionnait quand ce n’était pas ce Marco qu’elle trouvait plus inquiétant encore avec son long visage et ses yeux glacés.
— Avez-vous vu le jardin ?
— Oui, c’est même le premier endroit que j’ai visité. Il a le charme des lieux abandonnés. Je n’aurais pas cru qu’autant de plantes et d’arbres arriveraient à pousser entre ces hauts murs.
Et il était vrai que jamais elle n’avait vu un tel fouillis végétal. On était loin des prairies et des bois de son enfance, des champs cernés de haies, ou même de l’ordonnance des jardins de simples du monastère voisin du château familial.
Ici poussaient des palmiers où s’accrochaient les lianes exubérantes des jasmins, là un oranger disputait la place à un citronnier. Ailleurs, c’étaient des buissons de myrtes, des touffes de lavande et des rosiers. Le tout plus entremêlé que les fils d’une tapisserie. Dans les parties les plus ombragées, des fougères développaient leurs frondes sur d’épais tapis vert tendre. Le soleil ne perçait que difficilement et il faisait une agréable fraîcheur, renforcée par l’eau des fontaines et des bassins. Les feuillages formaient un dôme au travers duquel passaient de minces rais de lumière. Les plantes étaient si serrées que le chemin qui serpentait entre elles disparaissait presque.
Au bout de cette sente recouverte de sable blanc, Eleonor avait découvert, dissimulée dans un écrin de lierre, une statue de femme. Le sculpteur s’était attaché à faire sortir du marbre la beauté du corps et du visage, mais surtout l’air sauvage et fier de celle qui avait été son modèle.
— C’est ainsi que je l’aime. Mon serviteur ne s’occupe que de maintenir l’allée en bon état et de veiller à ce qu’un peu de lumière touche les bassins. Pour le reste, la nature fait son ouvrage.
— Quel dommage pourtant que toutes ces plantes cachent la statue au fond du jardin !
Le chevalier noir ne parut pas avoir entendu sa dernière remarque.
— Vous avez mis une bien jolie robe, damoiselle, et ce pendentif...
Il s’interrompit, le visage songeur. Eleonor rougit, cachant le cadeau d’Hugues au creux de sa paume.
— Je crois l’avoir déjà vu.
— Je ne pense pas, protesta Eleonor, de plus en plus rouge.
— Mais si, insista le chevalier. Il me rappelle... Cela me reviendra. Mangeons, voulez-vous ?
Un serviteur entra, précédé par dame Elvire. Et ce fut un défilé de plats sucrés et salés, doux et piquants comme jamais Eleonor n’en avait mangé. Agneau badigeonné de miel, servi avec des amandes et des olives, poissons au piment, aubergines et fèves en purée à l’huile
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