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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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en le regardant avec convoitise.
    — Il est rassis, dit Baillehache.
    — À boire ! Juste un peu !
    Le bourreau aperçut quelque chose près de la tête du prisonnier. Cela ressemblait à une sorte d’auréole sombre. Il repoussa l’homme avec le bout ferré de sa canne afin de voir cela de plus près : le vieil homme avait été affamé à un point tel qu’il était parvenu, non sans mal, en se tortillant dans ses chaînes et en se tordant le cou à l’extrême, à grignoter l’enduit d’argile couvrant le mur de son cachot.
    Firmin écarquilla ses yeux chassieux.
    — J’ai très faim, dit-il.
    — Ma foi, tu dois t’être cassé les dents, là-dessus. Fais voir. Oui, en effet. En plus, certaines se déchaussent. Mon pauvre vieux. Ta blessure, maintenant.
    Firmin se laissait docilement examiner. Les larmes lui vinrent aux yeux. Baillehache avait dit : « Mon pauvre vieux. » Il en était profondément ému.
    — Il était temps d’y voir. Tu as grand besoin d’être soigné. Cette plaie commence à se corrompre. Vois comme cela a bruni aux commissures.
    — C’est vrai. Oh, ce que je suis content de vous voir, vous n’avez pas idée. Pendant que je croupissais là à attendre, j’ai beaucoup pensé à vous. Il me semble que je vous connais depuis toujours. C’est étrange, hein ? Ne me laissez plus seul, je vous en prie.
    Les bras suspendus, hideusement ridés par un amaigrissement subit, se mirent à agiter les chaînes pour tenter de caresser l’homme en noir dont la présence et la sollicitude étaient si réconfortantes. Mais Baillehache se tenait hors de portée. Plus que jamais, Louis fut heureux de porter sa cagoule, car il sentait sur son visage la contorsion d’une grimace. « Tu me connais bien mieux que tu ne le crois, vieux rat », songea-t-il.
    Firmin dit encore, spontanément :
    — Ils sont venus me voir l’autre jour, vous savez ? Les Jacques. Ils m’ont apporté un de ces soupers ! Putain que c’était bon. Pour me remercier de leur avoir donné du pain. Dieu était là avec eux. Il était très fier de moi.
    — C’est vrai ? Dieu, dis-tu ? Grand bien Lui fasse.
    Le géant se penchait pour déverrouiller les entraves et, satisfait, il écoutait poliment les propos délirants du prisonnier. « Eh bien, dis donc, tu n’as pas mis beaucoup de temps à perdre le peu d’esprit que tu avais », se dit-il.
    — Ah oui, continuait Firmin. C’est fou ce qu’il y avait comme monde dans ce petit cachot. J’étais très fatigué quand ils sont partis. Mais, c’est drôle, je suis plus content de vous voir, vous. Je sais pas, c’est pas pareil.
    Baillehache conduisit doucement le vieil homme le long du couloir. Lorsque ses pas avaient résonné dans l’escalier au beau milieu de la nuit, comme c’était devenu son habitude, tous les prisonniers du cachot avaient été atteints de crampes et de diarrhée en même temps. Firmin aussi. Mais le boulanger ne se rendait pas compte qu’un liquide nauséabond coulait le long de ses jambes. Sa faim chronique lui avait fait perdre ses inhibitions, et son besoin de communiquer avec un autre être humain était aussi pressant que sa soif. Il était devenu intarissable :
    — Eux, ils sont déjà au paradis et tout. Moi, j’ai personne ici. Personne sauf vous. Mais c’est très bien, c’est très bien, vous savez ? Faut que je vous dise : je comprends, hein ! Je veux dire : j’ai bien conscience que vous ne faites que votre devoir, que ce n’est rien de personnel. Ce sont eux qui vous y obligent. C’est pour ça que je me suis dit : Baillehache, c’est pas un mauvais type, non. Il est mon seul vrai ami. Tous les autres qui restent m’ont laissé tomber, mais pas lui.
    — C’est gentil.
    Louis regretta de ne pas être en mesure de rire aux éclats, même s’il croyait avoir oublié ce que l’on pouvait éprouver lorsqu’on dessinait sur ses traits un simple et vrai sourire.
    Une fois son prisonnier libéré de ses chaînes, le bourreau le fit asseoir sur un banc dans ce qui ressemblait à un dispensaire. Tout en ne cessant d’écouter, il prépara une mixture d’herbes mêlées à de l’eau-de-vie de vin de Mâcon qu’il exprima d’une éponge au-dessus de la plaie. Firmin continuait de parler :
    — Mais c’est vrai. J’ai beaucoup pensé à vous. Quel métier terrible vous faites. Ça doit être très éprouvant de torturer des gens quand on n’a rien contre eux, hein ? Moi, j’en

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