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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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somnolentes. Il y avait un arrière-guet, ou reguet, qui sillonnait les rues sombres de la ville, torche à la main, s’arrêtant à chaque carrefour pour scruter les ombres et écouter le moindre son que la nuit amplifiait. Ces hommes montaient aussi aux remparts pour s’assurer que les guetteurs ne s’étaient pas endormis.
    L’endroit que Louis préférait était un poste de garde en pierre ; il ressemblait, en miniature, aux deux tours de Notre-Dame que l’on eût réunies par un chemin de ronde. De cette hauteur, il dominait les toits dont les ardoises luisaient sous les nombreuses étoiles. Cela lui évoquait de précieux souvenirs d’enfance.
    À la tombée de la nuit, alors que les citoyens fatigués s’enfouissaient sous leurs couvertures, la bande de Hugues allait se ravitailler en étudiants à la Sorbonne et se répandait dans les rues pour y semer la pagaille. Certains décrochaient des enseignes tandis que d’autres s’en allaient par les rues désertes en criant « Tuez ! Tuez ! », simulant une attaque pour le seul plaisir de voir apparaître aux fenêtres des visages blêmes de frayeur. Ils multipliaient les blagues de mauvais goût et déclenchaient de spectaculaires bagarres dans les tavernes.
    Louis était trop heureux de pouvoir rester dans son coin tranquille à regarder poindre l’aube sur la ville. Il lui eût déplu d’avoir à appréhender les copains. Peu à peu, alors que la nuit filait en douce, surgissaient d’un brouillard qui rasait le sol les structures quasi dématérialisées et audacieuses des églises gothiques.
    Ce fut après une nuit passée sur les remparts qu’il crut percevoir, apporté par la brise matinale, l’un de ces premiers chants d’oiseaux précurseurs du printemps.
    *
    Mars 1348
    Le ciel était bas, sans horizon. Toute la matinée il avait annoncé une pluie dont on n’avait pas vu une seule goutte. « Peu importe le temps qu’il fait », se dit Louis en souriant aux nuages avec indulgence.
    Des chats qui s’accouplaient dans une ruelle crièrent et feulèrent en se séparant.
    — Merde, ça fait un grabuge de tous les diables, dit Samson à Louis, qui n’avait rien remarqué.
    — Hé, ho, laisse-le un peu. Tu vois bien qu’il a la tête ailleurs. Il n’entend pas un traître mot de ce qu’on dit, signala Hugues en donnant au nain une tape amicale.
    — Ouais, je vois ça, répliqua Samson, boudeur.
    Louis avisa une grappe de fleurettes malingres, en forme de clochettes, que le vent agitait dans son vase de terre cuite minuscule. Le bocal était posé négligemment sur le rebord d’une fenêtre. Quittant précipitamment la bande, l’adolescent traversa la rue pour aller replacer le vase, car il menaçait de tomber. Du bout des doigts, il effleura tendrement quelques ténus pétales blancs, déjà un peu flétris. Il dit, comme pour lui-même :
    — Mais, ma parole, j’avais bien vu. Les gars, venez voir ça.
    — Merde, le Long, on dirait que t’as jamais vu de muguet. Et depuis quand t’intéresses-tu aux fleurs ?
    Le petit bouquet précoce avait une allure assez pitoyable. Nul ne savait d’où il pouvait bien venir, si tôt en saison, ni pourquoi il avait été mis là. Peut-être par charité.
    — M’est avis qu’il est amoureux, celui-là, dit Samson d’un air entendu.
    Louis trouvait le bouquet splendide. Il jeta un coup d’œil alentour et en cueillit une tige pour la mettre dans les cheveux d’Églantine.
    — Touché, Samson, dit Hugues.
    — Attendez-moi, je reviens, dit Louis.
    Et il disparut derrière le muret menant à la passerelle d’un certain moulin. C’était le troisième soir de suite qu’il s’y rendait, sans autre objectif que de manifester sa présence à la porte. Les deux premières fois, il s’était contenté de gratter à l’huis assez fort pour être entendu dans le vacarme de la minoterie. Ce soir-là, il allait cogner et c’était décisif : si, de l’autre côté de la porte, on frappait aussi en réponse à ses coups, Louis allait être officiellement autorisé à courtiser Églantine.
    Il vérifia une dernière fois qu’il avait bien dans sa poche les dragées qu’il lui destinait. Ces friandises avaient été soigneusement emballées dans un délicat mouchoir brodé qu’il avait trouvé dans les affaires de sa mère et qu’il n’avait eu aucun scrupule à voler à Odile, en même temps qu’un joli petit ruban de soie dont il avait ficelé son minuscule

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