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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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pièces au jeune livreur et prit la hotte par ses courroies. Il disparut dans une ruelle. « Attends un peu qu’il voie de quel bois je me chauffe », se dit-il en marchant d’un bon pas.
    Une heure auparavant, Firmin s’était fait livrer à sa table un pâté et des rissoles dont il ne restait plus à présent que des vestiges {48} . Un cruchon de vin presque vide trônait devant lui. Il était seul et ne remarqua pas Louis lorsqu’il entra dans le réduit enfumé par un âtre nourri au bois trop vert. L’arrivée sur sa table d’un gros pain qu’il n’avait pas commandé fit détaler les pensées distraites du boulanger parmi les fumées stagnantes. Il se redressa.
    — Qu’est-ce que tu fous ici, toi ?
    — Je viens prendre un gobelet avec vous, dit Louis.
    — Tu n’as pas l’âge.
    — Oui, je l’ai. Mais, même si je ne l’avais pas, est-ce que quelqu’un ici le saurait, à part vous ?
    — Petit salaud. Qu’est-ce que tu veux, hein ?
    — Je vous l’ai dit : vous payer un gobelet.
    Le jeune artisan alla remettre le contenu de sa hotte au tavernier et revint avec un cruchon plein. Il prit place devant son père et le servit en premier. Firmin dit :
    — Il y a anguille sous roche, ça, c’est sûr. Mais du diable si j’arrive à savoir ce que c’est.
    Louis prit une bonne gorgée de vin et posa son gobelet. Il regarda son père droit dans les yeux et demanda :
    — Qu’allez-vous faire, si j’accède bientôt à la maîtrise ?
    — Comment ? Aurais-tu déjà l’intention de présenter ton chef-d’œuvre à la guilde ? Mais tu es trop jeune et tout juste bon à jouer les mitrons.
    — Dites plutôt que je l’étais. Parce que pendant toutes ces années vous avez tout fait pour m’empêcher d’apprendre convenablement.
    — Ho ! Là, tu déraisonnes…
    — Mais votre petite combine ne vous a pas donné le résultat que vous attendiez, n’est-ce pas, cher Père ? Sans moi, c’est vous qui êtes tout juste bon à jouer les mitrons.
    Firmin fut, pour une fois, dûment mouché. Il soupira et se frotta les tempes avec lassitude. Le chaume de sa tête se hérissa. Louis poursuivit :
    — Cela dit, la question n’est pas là. Je vous demande quels sont vos projets pour l’avenir.
    — Bon, bon, ça va, j’ai compris. Je te les dirai, mais seulement si tu me dis d’abord quels sont les tiens.
    Louis sirota un peu de vin et s’essuya la bouche du revers de sa manche.
    — Marché conclu. Je vais me marier.
    — Ah, c’est donc ça. Mordieu, j’aurais dû y penser moi-même. Avec qui ?
    L’adolescent fronça les sourcils. Il se prit soudain à redouter la bassesse et la vulgarité de son père comme une souillure qui risquait d’entacher la beauté de ses souvenirs encore récents. Firmin, cette ébauche d’humanité grossière, primitive, était incompatible avec tout ce qu’il avait vécu chez les Bonnefoy. Il réalisait à présent dans quelle mesure Firmin l’avait maintenu en arrière depuis l’enfance.
    — Allons, ne sois pas si pudique avec ton vieux père qui en a vu d’autres. Nomme-moi l’heureuse jouvencelle que tu veux trousser.
    Puisqu’il fallait bien en venir là, Louis s’efforça de prendre un air détaché en disant :
    — C’est Églantine Bonnefoy, la fille du meunier.
    — Par la boudiné de saint Cucufat {49} , c’est qu’il a l’air sérieux.
    — Je suis sérieux.
    — Ah, le petit salaud. Tu m’as bien eu. Alors là, j’avoue que tu n’as vraiment pas manqué ton coup. J’en suis pantois. Buvons un coup, que je me remette les idées en place.
    — À la vôtre, dit Louis, ravi du tour que prenait la discussion.
    — C’est Bonnefoy qui va en faire, une tête, affirma Firmin. Au fait, le sait-il ?
    — Je crois que oui.
    — Sacredieu, je n’en reviens pas. Voilà qui est bigrement habile. Bonnefoy !
    Il se claqua une cuisse, alléché par la perspective de leur partenariat d’affaires que cette alliance profitable pouvait accroître. Son enthousiasme fut toutefois de courte durée, car certaines préoccupations bien légitimes se frayaient péniblement un chemin parmi les vapeurs abrutissantes du vin.
    — Mais es-tu donc persuadé que les Bonnefoy vont vouloir de toi ? Une fille de meunier n’épouse guère qu’un meunier.
    — Pas forcément, vous le savez aussi bien que moi. On en connaît qui ont épousé des laboureurs aisés, des artisans ou des commerçants comme nous.
    — Ouais,

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