Le jeu de dupes

de sentir la chaleur de son corps contre le sien. Subitement Nolwenn s'agita en proie à un mauvais rêve et ouvrit brutalement les yeux avec le prénom de son époux sur les lèvres.
    – Je suis là mon amour, calme-toi, tu es à l'abri…
    Nolwenn le reconnut et comprit qu'elle était bel et bien réveillée. Elle n'émit pas un bruit, se contentant de se blottir contre lui en position fœtale. François voulut la presser contre son cœur mais elle se raidit. Une longue minute ils restèrent ainsi ensilence puis Nolwenn, d'une main timide, prit celle de François et la posa sur son ventre. Le gentilhomme ne réalisa pas immédiatement ce qu'il découvrit sous sa paume. Enfin, il comprit que son épouse était enceinte. Devant le regard plein d'espoir de cette dernière, il se força à sourire tandis qu'au fond de lui une main glacée étreignait son cœur l'empêchant de dire un mot.

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    29 juin 1651
    La fin d'après-midi s'annonçait magnifique tout comme cette journée où Gabriela et Nicolas de Lagne s'étaient évertués à éblouir et ravir chacun de leurs invités. Après une course de chevaux haletante, tous les convives se dirigèrent vers un petit lac artificiel où de ravissantes tonnelles et des tables chargées de rafraîchissements et d'amuse-bouches les attendaient. Le maître et la maîtresse des lieux donnaient toujours une somptueuse réception à cette période de l'année, connue du Tout-Paris, où l'on pouvait apercevoir la fine fleur de la haute société, avide de voir et d'être vue dans leur splendide propriété proche de Chantilly destinée à rivaliser avec la fastueuse demeure adjacente du prince de Condé.
    Le château de style Louis XIII en pierre et brique était de taille modeste par rapport à son voisin mais admirablement mis en valeur par une décoration audacieuse sans faute de goût qu'on devait à Charles Lebrun faisant la part belle aux œuvres d'art des plus grands artistes de l'époque : Vouet, Poussin, Gellée… La propriété, enserrée dans un luxuriant écrin de verdure, offrait de plus desuperbes jardins aux élégantes allées débouchant çà et là sur de charmants bosquets propices aux ébats amoureux, à l'abri des regards, agrémentés de grands pots colorés d'Italie ainsi que de statues choisies par Gabriela. Beaucoup moins classiques que celles habituellement exposées, ces dernières faisaient jaser les visiteurs, ce qui la ravissait.
    Les Rohan Montauban étaient évidemment de la fête, excepté Henri resté à Paris avec Gervais. François, marchant avec Nolwenn, voulut l'aider à parcourir le chemin de gravier peu commode dans son état avec des talons en lui proposant son bras, ce qu'elle refusa en s'écartant, faisant mine de ne pas remarquer son geste. François la laissa le dépasser sous l'œil navré de Louise qui les suivait de près, accompagnée de son époux et qui se dépêcha de rejoindre sa belle-sœur.
    Arnaud tenta d'apaiser son ami qui, mâchoires contractées, observait sa compagne s'éloigner.
    – Laisse le temps faire son œuvre, François, elle a vécu une terrible épreuve…
    – Je ne crois pas que le temps changera quoi que ce soit au fossé qui ne cesse de croître entre nous.
    Son beau-frère ne sut que dire pour atténuer son désarroi. Le retour de Nolwenn, tant espéré, n'avait pas permis les retrouvailles escomptées mutuellement. La jeune femme n'avait réussi à survivre durant sa captivité que grâce à ce petit être qui se développait dans son ventre et qu'elle voulait à tout prix préserver. Elle n'avait pas compris ni accepté la réaction de François qui n'avait pu apprendre la nouvelle avec l'enthousiasme qu'elle imaginait, complètement désarçonné par cette grossesseinattendue, déconcerté par ce corps transformé qu'il ne reconnaissait pas et surtout assailli par un doute extrêmement douloureux qu'il n'osait formuler à haute voix : était-il réellement le père de ce futur enfant ?
    Plus grave, leur attitude face à l'enlèvement et la mise à sac de Mont Menat les opposait irrémédiablement. Nolwenn avait évoqué brièvement la période vécue dans l'ancienne forteresse mais ensuite ses conditions de détention avaient été si éprouvantes – dissimulée dans un souterrain boueux d'une habitation isolée – qu'elle n'arrivait pas à en parler. Nolwenn voulait à tout prix oublier et se reconstruire en préparant la venue au monde de son nouveau-né alors que François ne rêvait que