Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
Vom Netzwerk:
petite-fille bien aimée qu’il chérissait plus
qu’il ne le montrait. Par cette confiance, je devinais entrouverte la porte de
son cœur et non plus seulement celle de son esprit.
    À moi, qui depuis longtemps vivais sans famille, je voulais
croire qu’il accordait un peu de l’affection qui l’emportait vers sa
descendance.
    Aussi, lorsque je relevai le visage, ne fus-je pas surpris
de l’entendre me demander aussitôt :
    — Elle s’est bien comportée, n’est-ce pas ?
    Il n’aimait pas seulement Éva, ainsi que n’importe quel
grand-père, il voulait être fier d’elle. Je le rassurai et lui fis un compte
rendu de notre séjour à Cracovie. Je ne ménageais pas les détails sur les
compliments qu’Eva y avait reçus. Le MaHaRaL montrait d’ordinaire peu
d’inclination pour les choses banales du quotidien. Il m’écouta néanmoins sans
aucune impatience.
    Quand je me tus, il me tourna le dos pour aller déplacer des
papiers sur sa table. Au mouvement de sa barbe, je devinai son sourire.
Cependant, quand il se retourna, ni sa bouche ni son regard ne conservaient une
trace de son plaisir. Le grand-père avait disparu, il était redevenu le
MaHaRaL.
    — Que t’a dit Isaac ?
    — Que vous aviez une tâche pour moi, Maître.
    — Tu sais, pour ma visite à l’Empereur ?
    J’opinai.
    — Et aussi qu’il vous a envoyé une voiture et des gens
d’armes pour escorte.
    Sa main fine balaya la remarque. Il se rapprocha de moi. Ses
yeux s’arrimèrent aux miens. Il se mit à murmurer, si bas que je fus tenté de
tourner la tête pour approcher mon oreille de sa bouche :
    — « Soyez sur vos gardes dans vos rapports avec
les puissants, car c’est dans leur intérêt qu’ils se rendent
accessibles… »
    Je reconnus là une citation du Traité des Pères. Je
battis des paupières pour signifier que je comprenais, mais le MaHaRaL fit
silence encore pendant un long moment.
    Finalement, il déclara sèchement :
    — L’empereur Rodolphe est un homme qui n’a pas plus de
solidité d’esprit et de caractère qu’une cruche à demi cuite.
    Sidéré par des propos si inattendus dans la bouche du Haut
Rabbi, j’osai répliquer :
    — Mais ne raconte-t-on pas que c’est un homme
d’étude ?
    Notre Maître plissa les yeux.
    — Il étudie. À sa manière. Il connaît le latin et même
plus d’hébreu que je ne m’y attendais. On pourrait croire qu’il aime la science
et les savoirs.
    La colère tremblait dans la barbe du MaHaRaL. Jamais je ne
lui avais connu pareille véhémence. Il secoua la tête en un reproche silencieux
avant d’aller s’asseoir sur son siège. Comme je ne bougeais pas, il me fit
signe d’approcher, me désignant un tabouret recouvert de livres à la reliure de
cuir. Je débarrassai le tabouret et pris place.
    Le Maître frappa la table devant lui du bout de ses doigts.
    — « Le livre du Caché est le livre décrivant ce
qui est pesé dans la Balance ; car avant qu’il y ait une Balance, le
Visage ne regardait pas le Visage. »
    Comme tous ceux qui étudiaient dans son klaus, je
connaissais ce geste et cette phrase par cœur. C’était ainsi que l’on désignait
l’œuvre et les mouvements des mots de la Kabbale. La phrase sortait du Zohar et
désignait le Livre de la Splendeur lui-même. Le tambourinement des
doigts du MaHaRaL sur la table rappelait à celui qui prononçait ces mots qu’il
ne devait pas les tirer du silence sans les rendre au silence.
    Ce que nous fîmes, pendant quelques secondes.
    J’aurais dû laisser le silence me prendre. Mais en cet
instant je ne pus m’empêcher de rêver à ce qu’avait dû être ce face-à-face
entre le MaHaRaL et l’Empereur. On disait beaucoup sur Sa Majesté. Qu’il ne
chérissait rien tant que les secrets, adorait les mystères et les énigmes. Tout
ce qui était caché excitait ses pensées. Vingt mages, devins, alchimistes et
astrologues lui procuraient chaque soir le catalogue des événements qui doivent
advenir le lendemain. Et, le lendemain, ils lui expliquaient pourquoi rien
n’était arrivé de ce qu’ils avaient prédit.
    Le bruit courait qu’il avait, depuis son arrivée à Prague,
transformé le château, le hrad , comme on disait en langue de Prague, à
l’image de son esprit. Il y avait fait construire un grand nombre de pièces
secrètes. Et des cabinets encore plus secrets dissimulés dans les murs des
pièces secrètes. Un peintre italien du nom d’Arcimboldo avait représenté

Weitere Kostenlose Bücher