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Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
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fois, ne
le sait plus.
    Pourtant leurs noms me restent : Zinatano di Musetto,
fils de Moïse, et son frère Jekutiel. Ils se rendaient à Venise. À l’occasion
d’un échange à la sortie de la synagogue de Cologne, je découvris en eux de
grands admirateurs du MaHaRaL. La décision fut facile de faire le chemin en
leur compagnie.
    Il fallut contourner Colmar, interdite aux Juifs, accusés
d’avoir soutenu l’hérétique Jan Hus, ce qui était faux. Nous arrivâmes à Bâle
pour le shabbat, puis à Fribourg, chez un changeur pour lequel les frères
Musetto possédaient une recommandation. Fribourg était séparée en deux par le
Rhin. Ses rives étaient reliées par un large pont de bois. J’y découvris une
horloge merveilleuse, énorme et dont on assurait qu’elle n’avait pas de
réplique.
    La première fois que j’entendis son carillon de huit heures,
j’en fus tellement enchanté que j’attendis le concert de neuf heures.
    Les Musetto ne cessèrent d’être des compagnons charmants,
pleins d’attention et de révérence. Ils possédaient mille anecdotes sur chaque
endroit, tant ils étaient habitués à ces voyages. Et, pour protéger leur
commerce, ils n’allaient nulle part sans s’entourer d’une dizaine de
serviteurs. Plus nous avancions vers le sud, plus mon sentiment de sécurité se
transformait en insouciance.
    C’étaient mes premiers voyages, et la leçon fut rude.
    Nous venions de passer Trente, au bord de l’Adige, où je
n’avais que peu apprécié les Juifs sévères de la communauté. Nous approchions
des splendeurs du lac de Gardone. Tout ici était enchanteur et je crois bien
que j’aurais pu y demeurer des semaines.
    Au chaud du jour, alors que nous venions de dépasser une
bourgade de pêcheurs et entrions dans un bosquet, deux ou trois charrettes
emplies de volailles caquetantes nous barrèrent la route. Nos voitures
s’immobilisèrent. Une clameur assourdissante nous pétrifia.
    Surgissant de nulle part et de partout, une horde de bandits
nous encercla. Des hommes et des femmes dépenaillés jusqu’à la chair nue, armés
de bric et de broc : poignards, massues, crocs et gourdins. En un éclair,
ils eurent les brides de nos mules en main, les femmes escaladant nos chariots
avec des cris suraigus.
    Je n’eus qu’à peine le temps de me dresser, celui qui
semblait être leur chef et portait un bliaud de velours vert déchiré me tira à
terre. Trois nains édentés qui devaient lui servir de garde personnelle me
roulèrent dans la poussière, tandis que je voyais les Musetto se faire
vicieusement malmener. Un coup de croc fit sauter la serrure d’un coffre de
vêtements. Les frères cherchèrent à résister. Les coups les repoussèrent, si
violents que le sang gicla de leurs épaules. Par réflexe plus que par courage
je criais un «  Chema Israël ! » bien sonore. Ma rescousse
n’alla pas plus loin. Une masse me frappa l’arrière du crâne et je me sentis
curieusement sauter dans le néant.
     
    Il est dit dans le Zohar que, lorsque l’homme en ce monde
dort dans son lit, son esprit s’en va errer, désireux de s’élever la nuit
durant. Là, devant chaque firmament, se dressent de nombreux gardiens armés
pour lui rappeler sa place.
    Les brigands de Gardone ne m’offrirent pas seulement un beau
mal de tête et des jours d’inconscience. Dans mon coma, je vécus la plus
curieuse des illusions. Un rêve, peut-être, qui ne s’est jamais effacé de ma
mémoire, comme si le Saint-béni-soit-Il avait voulu me montrer que l’homme qui
perd conscience devient riche de bien autre chose.
    Je me vis monter au ciel. Dans le firmament supérieur, des
anges séraphins entourés de cercles de feu, tous semblables à des brandons
ardents, surgirent devant moi. Leurs dents, leurs yeux, tout était des
étincelles brûlantes. Leurs habits : du feu flamboyant.
    Je les entendis qui s’exclamaient : « Qui a mis
celui qui est né d’une femme parmi nous en cette place ? »
    La peur me saisit. Ils s’apprêtaient à me consumer avec
l’haleine de leur bouche. J’invoquai les lettres du Saint Nom. Les anges se
calmèrent.
    Le grand prince qui les gouverne me demanda :
    — Qui es-tu ?
    Je lui dis mon nom. Il me répondit, en désignant l’espace
derrière les anges :
    — Par ce portail passent tous ceux qui ont souffert à
cause de l’oppression des nations du monde. Tous entrent par ce portail.
    Je levai les yeux. Je vis Éva. C’était elle, j’en

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