Le kabbaliste de Prague
la
Terre qui nous supporte doit également être au centre du cosmos. Ils pensent
encore comme Aristote et ils se trompent encore avec Ptolémée.
— Et nous, non ? On ne croit pas que l’Éternel
nous a placés au centre ?
— La Torah dit que Dieu a fait Alliance avec le peuple
d’Abraham. Que la Terre soit au centre de l’univers ou qu’elle tourne autour du
Soleil, cela n’y change rien, pas plus que cela ne change nos fautes et nos
devoirs.
— Mais Dieu n’est pas dans le Soleil non plus. Il s’y
brûlerait.
— Si, Il est dans le Soleil comme ailleurs, puisqu’il
est partout et nulle part, comme l’air que tu respires autour du toi. Tu ne le
vois pas, pourtant il entre dans tes poumons et s’il est infesté par la peste
tu attrapes la peste…
— Et s’il y a Dieu dans l’air, je respire Dieu et
j’attrape Dieu.
Elle riait de tout son cœur et j’avais du mal à garder mon
sérieux.
— Que Sa gloire rayonne ! Dieu ne se brûlerait pas
dans le Soleil, puisqu’il n’est d’aucune matière, au contraire de nous, des
animaux ou des étoiles.
— C’est ce que j’aimerais bien voir, ce qui n’est fait
d’aucune matière et quand même peut être assez fort pour construire des étoiles
et des planètes.
Puis, un jour, à peine eus-je terminé notre prière du matin,
qu’Eva me demanda brusquement :
— J’ai entendu dire que Grand-père rabbi est savant
dans la Kabbale. Et toi aussi ?
À voir sa mine, je ne doutai pas qu’elle venait de ruminer
cette question la nuit durant.
— Ton grand-père est savant en tout et moi en bien peu,
répondis-je prudemment.
Éva m’adressa une de ces grimaces délicieuses qu’elle
pouvait avoir lorsque l’exaspération la prenait devant les lenteurs et les
prudences des adultes.
— Bon. Tu as compris. Ce n’est pas la peine de faire
semblant. Qu’est-ce que c’est, la Kabbale ?
Je ris autant pour masquer mon admiration devant les
manœuvres d’Éva que pour prendre le temps de me demander s’il était sage
d’enseigner ne serait-ce que les rudiments d’un tel savoir à un enfant. À une
fille. Fût-elle la petite-fille bien aimée du MaHaRaL.
Pourtant Éva avait raison. Inutile de faire semblant. Je
savais que je ne résisterais pas à sa guerre si je me taisais. Et puis, comme
si elle devinait mon doute, avec un œil froid elle ajouta :
— Ne me dis pas que je suis trop jeune pour comprendre.
Je sais que son père a déjà appris des choses du Zohar à Isaïe.
— Donc, tu connais le Zohar ? Le Livre de la
Splendeur ?
— Juste le nom. Je ne l’ai jamais vu.
— Peut-être devrais-tu faire comme Isaïe :
attendre que ton père te renseigne.
Éva haussa les épaules et me regarda bien droit dans les
yeux.
— Ne sois pas bête, David. Tu sais bien que tu m’en
diras plus, et mieux. Sinon mon grand-père rabbi ne t’aurait pas choisi pour
m’enseigner ce qu’il faut apprendre.
Qui, jamais, sut résister à la puissance et à la séduction
d’un raisonnement d’enfant ?
Ainsi me retrouvai-je à lui expliquer comment Kabalah,
KBLH, en hébreu, signifiait l’idée et la vérité physique de la Réception. Et comment ce mot était devenu le sens le plus haut de l’enseignement que Moïse
reçut de l’Éternel sur le mont Sinaï avec les tables de la Loi. C’étaient là
des choses bien complexes à comprendre pour une petite fille comme Éva, mais
elle me fit signe de continuer.
— La Torah dit aussi que c’est là l’enseignement
« de bouche à bouche ». Il se transmet par l’immense savoir du
silence, de la prière et de l’écoute. Car Dieu en dit autant dans l’écrit que
dans le non-écrit, dans le mot qui passe les lèvres que dans celui qui ne
s’entend pas. L’espace entre les lettres est un souffle qui n’est pas un vide.
Et ce silence, qui est pour ainsi dire l’envers du Verbe, est celui-là même qui
vit l’enseignement de la Kabbale. C’est pourquoi on dit aussi que la Kabbale
est un jardin. Le plus beau, mais aussi le plus dangereux. Un jardin où celui
qui entre n’est jamais certain d’en pouvoir sortir, ni ne peut savoir comment
il en sortira. Un jardin que nous nommons Pardès et qui s’écrit PRDS. C’est très important.
— Pourquoi ? C’est un mot comme un autre.
— Non. Il n’est pas comme un autre. Aucun mot, si on y
prête garde, n’est comme un autre. C’est cela que nous enseigne la Kabbale. Les
lettres en disent toujours plus que
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