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Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
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l’arabe ?
    — Oui.
    — L’araméen ?
    — Oui, quoique imparfaitement.
    — Vous sauriez me refaire une traduction des tables
d’Ibn al-Shatir ? Copernic en a fait une, mais j’y soupçonne des erreurs.
    — Je crois que je pourrais.
    — Et la Kabbale, monsieur Gans, vous sauriez me
l’apprendre ?
    Je ne fus pas très étonné de la question. Mais, avant de
parler, je ne pus m’empêcher de songer à ce qu’aurait répondu mon Maître le
MaHaRaL dans une pareille circonstance.
    — Bien moins que vous ne l’espérez, dis-je.
    — Que savez-vous sur mon espérance ?
    — Parler d’« apprendre la Kabbale » montre
qu’on la considère comme un outil. Une lunette qui permettrait de voir mieux et
plus loin, comme celles que vous avez là-haut dans votre palais et que je n’ai
toujours pas approchées. Pourtant, il s’agit de tout autre chose. Kabalah
signifie « Recevoir », « Réception », Maître Brahé. Et
recevoir le silence du Saint-béni-soit-Il exige plus que des calculs.
    Le prince des astronomes me regarda avec enthousiasme.
    — Ah, je le savais ! Tu vois que tu es capable de
me l’enseigner, cette Kabbale, s’exclama-t-il en passant au tutoiement. Tu
viens de me donner ma première leçon, David Gans.
    — Votre déception risque d’être bientôt aussi profonde
que votre espérance, répondis-je. Je ne suis qu’un modeste rabbi qui ne vous
conduira que dans un modeste voyage. Si vous alliez à Prague, comme on vous y
invite, vous rencontreriez mon Maître, rabbi Lœw, le MaHaRaL. S’il est un puits
de science et de sagesse en ce monde, le voilà. Il s’approche du Pardès comme
nul autre. Ne comptez pas sur moi pour en faire autant.
    Comme il me voyait le dévisager, Tycho Brahé se méprit. Il
porta soudainement la main à son nez.
    — Réglons ça une bonne fois, monsieur Gans.
    Entre le pouce et l’index, il retira la prothèse qui lui
servait de nez. Il la fit miroiter sous mes yeux alors que je découvrais avec
stupeur sa face plate. Elle ressemblait plus que jamais à celle d’un goret. Les
deux orifices du groin béaient, longs et roses, très hauts sur sa face, juste
sous ses yeux. Les mèches de sa moustache n’en paraissaient soudain que plus
prodigieuses.
    — J’ai perdu le reste dans un duel. Mais ces prothèses
sont parfaites. Une excellente protection contre les irritations et les
infections. Je ne les trouve pas disgracieuses. Je les ai dessinées et conçues
moi-même.
    Il me laissa admirer son faux nez. Il était composé d’un
métal étrange qui faisait songer à un mélange de mercure et d’or plaqué sur une
peau de chevreau.
    — Celui-ci est pour ainsi dire d’apparat. J’en possède
d’autres couleur de chair. De la cire modelée sur du cuir. On s’y tromperait…
d’un peu loin.
    Le sourire transformait son visage plat en un curieux
éparpillement d’orifices.
    Il sortit de la poche de son pourpoint une petite fiole de
graisse adhésive que je reverrais souvent au cours des années suivantes. Après en
avoir enduit l’intérieur, il replaça son nez.
    Et moi, en cet instant, en contemplant Tycho, je sus que je
tenais de quoi répondre à la demande de l’empereur Rodolphe et étancher sa soif
de science et de bizarreries au-delà de son désir.
    Ce que j’ignorais, c’étaient les six années de patience
auprès de lui avant que le seigneur Brahé ne me laisse repartir à Prague avec
cette assurance.
     
    À l’automne de l’année 5356 après la création du monde,
1596 selon le calendrier chrétien, une fin d’après-midi où le vent soufflait
sur l’île à n’en plus finir, Tycho Brahé me réclama par l’intermédiaire de la
clochette. Il s’agissait d’un nouvel et ingénieux mécanisme qu’il avait mis au
point quelque temps plus tôt. Par des conduits et des cordons savamment
agencés, il actionnait des clochettes dans les chambres de ses assistants
depuis la salle de réception ou même de sa chambre.
    À ma surprise, il m’attendait derrière la longue table à
manger. Une vingtaine d’invités, hommes et femmes, lui tenaient compagnie. Le
festin et la beuverie duraient depuis des heures et avaient accompli depuis
longtemps leur œuvre sur les uns et les autres.
    Jamais, par goût autant que par fidélité aux Lois de Moïse,
je ne partageais ces monstrueuses bombances. La pièce était dans un désordre
épouvantable, ce n’était qu’un chantier de saleté, ça puait la bière et les
pâtés

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