Le kabbaliste de Prague
sensé.
Je rédigeai un rapport plein de détails et de fougue pour le
MaHaRaL. J’espérais lui faire comprendre la grandeur et le courage de ce
Gentil, ainsi que la puissance de ses pensées, que je recopiai longuement.
J’eus aussi la faiblesse de croire que, peut-être, Rodolphe apporterait son
soutien à Bruno.
C’était bien trop attendre du très catholique empereur.
La fureur de l’inquisition de Venise après cette arrestation
m’incita à ne pas m’attarder. Je profitai de nouveau d’un équipage de commerce
pour rejoindre Padoue.
Là vivait et enseignait Galileo Galilei, mathématicien et
astronome qui inventa le premier thermoscope. Depuis mon départ de Prague,
c’était l’homme que j’étais le plus impatient de rencontrer.
On m’avait pourtant déconseillé ce voyage : Galilei,
bien entendu, était sous la surveillance de l’inquisition. J’étais très
incertain de pouvoir même l’approcher. Qu’un Juif vienne de si loin l’admirer
ne pouvait que paraître suspect.
Mais on a compris depuis bien des pages que, pour ce qui
était de la science des astres, j’ignorais la prudence.
Un matin de printemps brumeux comme je n’aurais jamais cru
que cela arrivât en Italie, je me mêlai aux étudiants qui trouvaient place dans
les recoins d’une vaste salle tout en gradins.
L’apparence de Galilei me stupéfia. Un gros homme d’une
trentaine d’années, à l’élocution lente, aux épaules carrées, soucieux de sa
toilette autant que des regards des quelques femmes qui se tenaient sur le côté
de sa chaire. Malgré sa balourdise, il impressionnait et savait faire rire en
expliquant les choses complexes.
Je fus assidu à ses cours pendant deux bons mois. Je
l’entendis courageusement défendre la proposition de Copernic. Et, pour la
première fois, dans sa bouche, j’entendis le nom de Tycho Brahé.
À rapproche de l’été, je parvins à me trouver devant lui
dans un couloir. Au premier regard, à mes vêtements et sans doute à ma mine
soucieuse, il me soupçonna juif. Il jeta un regard par-dessus son épaule,
s’assura de notre solitude et s’adressa à moi en hébreu. Aussi vite que je le
pus, je lui transmis l’invitation de Rodolphe. Ne voulait-il pas trouver la
richesse et la paix, à Prague, pour étudier selon son gré ?
Galilei leva un sourcil prudent. Je le devinai surpris et
même flatté. Cependant, tant la brutalité de l’offre que le messager lui
parurent étranges. Peut-être même songea-t-il à un piège de
l’inquisition ? Sur un ton suspicieux, il me demanda de lui répéter
l’offre de l’Empereur en latin. Il sourit après m’avoir entendu.
— Votre Rodolphe sait choisir ses émissaires,
déclara-t-il, ambigu.
Des étudiants nous entouraient. Il se remit en marche et me
lança hâtivement :
— Je ne suis pas ici en si grande odeur de sainteté que
je puisse quitter Padoue à mon gré. Ni que je veuille m’y essayer. Mais il en
est un à qui vous devriez faire votre proposition.
Et, de nouveau, il cita le nom de Tycho Brahé.
Ce fut tout.
Je restai à Padoue encore un peu, dans le vain espoir de
revoir Galilei. Puis, comme j’avais projeté de me rendre à Rome, je repris la
route. Mais, arrivé à Rome, je compris que rien ne m’attendait dans cette
ville, sinon les contraintes innombrables auxquelles les Juifs étaient soumis.
Il me fallait suivre le conseil de Galileo Galilei, et rien d’autre…
Il me fallut cinq mois pour atteindre le royaume du
Danemark, fruit de ma prudence dans mes déplacements autant que de ma volonté à
me préparer au choc de la rencontre avec ce Tycho Brahé que je voulais
impressionner. Ne serait-il pas merveilleux de revenir à Prague avec son
accord ?
Car plus j’avançais vers lui, repassant dans les universités
et y lançant son nom, plus je comprenais que Galilei avait eu raison.
Le seigneur Brahé était fils de la haute noblesse danoise et
en rien un homme comme les autres. Sa science et sa méthode d’étude
éblouissaient les plus savants. Son opulence de noble, son goût de la fête et
des querelles aussi.
Sur le fond – la question délicate de savoir qui,
du Soleil ou de la Terre, tournait autour de l’autre, question qui allait,
quelques années plus tard, envoyer Giordano Bruno au bûcher et contraindre
Galilei à se dédire honteusement –, il était d’une parfaite prudence. Il
arguait que Copernic avait raison… mais que son système pouvait être
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