Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
mot.
– En
admettant que vous ayez raison, dit-il enfin, les yeux toujours rivés sur la
gravure, pourquoi Isis s’attaquerait-elle à ces hommes à Londres ? Que lui
ont-ils fait ?
– Je l’ignore, répondit le
prêtre à voix basse.
Clayton se leva, le
manuscrit à la main.
– Puis-je l’emmener ?
– Je
ne préférerais pas, mais je vous en ai fait faire une copie par un artisan de
la ville. Elle est identique en tout point à l’original. Et j’y ai joint une
traduction en anglais.
Le
père Freytag le raccompagna à la porte d’un pas chancelant. Au-dehors le ciel
était couvert et un vent froid sifflait lugubrement à travers les herbes rares
qui entouraient la maison. Clayton, qui pensait que l’entrevue était close, fut
surpris quand le vieillard s’agrippa à son bras et le pressa d’une voix
angoissée :
– Soyez prudent, Mr.
Blake.
– Pourquoi cela ?
Le
prêtre jeta un coup d’œil inquiet aux alentours avant de se pencher vers
l’inspecteur et de lui chuchoter en allemand :
– Denn
die Todten reiten schnell…
Puis il referma vivement
la porte.
Clayton
demeura immobile devant le presbytère, son regard parcourant machinalement les
rangées disloquées de tombes derrière l’église. Puis il commença à redescendre
l’allée débouchant sur la grand-route tandis que les derniers mots du père
Freytag menaient une ronde endiablée dans sa tête.
Denn die Todten reiten schnell…
« Car les morts
vont vite… »
*
En
arrivant à Calais pour reprendre le bateau pour l’Angleterre, Clayton n’y
voyait guère plus clair qu’avant son voyage à Dortmund. Il avait lu et relu la copie
du conte, scruté longuement les gravures, surtout le visage de la Dame Noire
qui avait enfin un nom, sans résultat. Quel lien pouvait-il y avoir entre les
victimes et Isis ? Quels torts avaient donc commis Henry Penrose ou
Francis Abernathy pour finir empalés ?
En
revenant de Dortmund, il était passé par Paris afin de constater l’état
d’avancement de l’enquête sur le meurtre de Stephen Thompson, la dixième
victime de la Dame Noire, mais la police française en était exactement au même
point que Scotland Yard, c’est-à-dire nulle part.
En
proie au découragement, Clayton attendait d’embarquer sur le vapeur à
destination de Londres quand il manqua laisser choir son sac de voyage sur le
quai. Car non loin de lui, un peu à l’écart de la foule, se tenaient – encore
elle ! – Cassandra Ward et un homme qu’il ne connaissait pas, un
aristocrate à en juger par sa mise. Tous deux étaient absorbés dans la
contemplation d’un document ou d’un objet que Clayton ne pouvait voir.
Discrètement,
il s’approcha d’eux par-derrière, assez près pour distinguer ce qui les
captivait tant. Un dessin.
Clayton se figea,
abasourdi.
Cassandra
Ward et son compagnon regardaient le portrait d’Isis.
*
Afin
de pouvoir discuter tranquillement à l’abri des oreilles indiscrètes, Julian et
Cassandra allèrent souper tard. L’arrivée à Londres était prévue le lendemain
dans la matinée, et ils avaient quelques heures pour décider de la conduite à
tenir à leur retour. La salle à manger du bateau était presque vide lorsqu’ils
s’y installèrent. Ils entamaient à peine leur dîner quand Cassandra reposa
brusquement ses couverts.
– Encore lui ?
Surpris, Julian se
retourna et suivit son regard.
– Qui est cet homme ?
– Clayton Blake, siffla
Cassandra avec hargne.
– Votre ami
policier ? Il a l’air furieux.
– Il a toujours l’air
furieux, et ce n’est pas mon ami.
– Il
vient dans notre direction en tout cas. Peut-être pourrions-nous l’inviter à
dîner, avança Julian d’un ton prudent. Après tout, c’est bien lui qui est en
charge de l’enquête sur la Dame Noire.
Les lèvres pincées,
Cassandra se raidit sur sa chaise.
– Je
vous en prie, Julian, ne dites pas de sottises. Ce serait déchoir pour un homme
de votre rang de manger à la même table qu’un policier.
Julian la considéra avec
stupéfaction.
– Et depuis quand vous préoccupez-vous
de ce genre de choses ? J’ignorais que vous étiez devenue une fervente
adepte de la bienséance !
– Je
l’ai eu à ma table et je peux vous assurer que c’est un piètre convive. Il n’a
aucun don pour la conversation.
– Quelle
importance ? Il ne s’agit pas de rivaliser d’esprit mais de discuter de
meurtres !
– Julian,
Weitere Kostenlose Bücher