Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
surtout pas
Cassandra ; Megan ne l’aurait pas supporté. Elle-même n’y pénétrait
jamais, pourtant. Cela lui était trop pénible. À l’instar de Jeremy, elle
échouait à faire son deuil. Pour elle qui n’avait pas connu sa mère et très peu
son père, Andrew avait représenté sa seule famille et par là même le centre de
son univers. Lorsqu’il avait succombé à une faiblesse du cœur deux ans plus
tôt, le monde de Megan était tombé en ruine et elle peinait aujourd’hui à le
reconstruire. La tâche était d’autant plus difficile que tout dans la maison de
Baker Street qu’elle partageait autrefois avec son frère le lui rappelait
douloureusement. Même si elles n’en parlaient jamais ensemble, Megan subodorait
qu’il en allait de même pour Cassandra. Celle-ci avait d’ailleurs proposé un
jour de vendre la demeure, mais la jeune fille s’y était violemment opposée.
Cette maison était l’unique lien tangible qui la rattachait encore à Andrew.
Dans
sa chambre, un souffle d’air frais agitait les lourds rideaux de cretonne.
Megan se dirigea vers la fenêtre dans l’intention de la fermer. Il n’était que
six heures, mais il faisait déjà très sombre dehors. Les réverbères répandaient
une clarté diffuse dans la rue, tandis que de minces filets de brume sinuaient
au ras du sol. Megan repoussait un battant quand elle se figea soudain. Appuyée
avec nonchalance contre le réverbère situé en face de la maison, une silhouette
familière se découpait dans la pénombre. Elle était vêtue d’un long manteau
fauve et observait Megan en silence, le visage masqué par le contre-jour de
l’éclairage de la rue. Immobile telle une statue, les bras croisés, l’inconnu
resta là plusieurs minutes durant. Incapable de faire le moindre geste, Megan
ne pouvait se dérober à sa vue.
Au
moment où les cloches de l’église du quartier sonnaient le quart, la silhouette
bougea enfin. Elle hocha légèrement la tête en direction de Megan, lui adressa
un signe désinvolte de la main puis s’éloigna dans l’obscurité. Le bruit de ses
pas résonna quelques instants sur les pavés avant de s’éteindre, aspiré par le
brouillard.
Lorsqu’elle
fut certaine que l’inconnu avait quitté les lieux, Megan referma lentement la
fenêtre et alla s’asseoir sur son lit, les jambes faibles. Ce n’était pas la
première fois qu’elle le surprenait devant la maison. Etait-ce elle qu’il
guettait ? Si Megan avait été dotée d’un tempérament plus romanesque, elle
aurait pu croire qu’il s’agissait d’un admirateur secret, mais cette idée ne
lui traversa pas même l’esprit. Il est vrai qu’il se dégageait de l’inconnu
quelque chose d’inquiétant qui n’évoquait en rien de tendres sentiments…
Perdue
dans ses conjectures, Megan sursauta quand Mrs. Lowell l’appela pour le dîner.
Elle se leva d’un bond, désorientée, et esquissa un pas vers la fenêtre. Elle
aurait juré que l’homme lui avait souri en la saluant.
Avec
un soupir, Megan se détourna de la croisée et quitta sa chambre.
IV
Le
paquet serré contre sa poitrine, Jack dévalait Craven Street, la dernière
grande rue qui le sépara de la Tamise. Sans ralentir l’allure, il bifurqua dans
Northumberland Street, déserte à cette heure de la nuit, et déboucha sur les
quais du fleuve. Jack s’arrêta pour reprendre haleine et profita de ce répit
pour jeter un regard par-dessus son épaule. Il ne vit personne, mais un bruit
de pas précipités résonnait dans le lointain. Sans demander son reste, il
reprit sa course vers un escalier de pierre aux marches effritées au pied
duquel était amarrée une petite barque. D’un bond, Jack sauta dans l’embarcation.
Il cala son ballot sous le banc, détacha la corde et s’empara des avirons.
Libérée de son entrave, la barque quitta silencieusement la rive. À
grand-peine, Jack louvoya et se fraya un passage à travers le dédale d’allèges,
de steamers et de trois-mâts qui encombraient la Tamise, leurs formes obscures
et fantomatiques oscillant doucement dans la pénombre. Un brouillard dense
recouvrait le fleuve comme un linceul, et Jack devait redoubler de vigilance
pour ne pas percuter un obstacle. Mais il maniait habilement rames et
gouvernail, et bientôt la barque se trouva à une centaine de brasses du rivage.
Là
seulement, sa respiration reprit un rythme normal. Il était sauvé. Quelle que
fût l’identité de son poursuivant, il lui avait
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