Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
l’empereur
germanique Conrad IV de Hohenstaufen, en 1254. La vacance de la monarchie
centrale, la lutte pour le pouvoir entre les maisons de Habsbourg et de
Luxembourg ainsi que les divisions du clergé avaient permis aux seigneuries
locales et aux villes d’acquérir leur autonomie, conduisant de fait à la
désagrégation politique et juridique de l’Empire allemand. La justice impériale
quasi-inexistante laissait le pays en proie à toutes les exactions. C’était
pour pallier cette anarchie et restaurer une unité juridictionnelle qu’avaient
été créés les tribunaux occultes de la Sainte-Vehme, les Fehmgericht. Le siège central de l’organisation se trouvait à
Dortmund, mais il existait des centaines d’autres tribunaux essaimés sur
l’ensemble du territoire germanique. Le président de la cour, le Freigraf, était chargé d’en recruter les membres, appelés francs-juges.
Ceux-ci devaient se soumettre à des rites d’initiation au cours desquels ils
juraient, sous peine de mort, de ne rien révéler des statuts, du fonctionnement
et des délibérations de l’institution. Initiation, mystère et hiérarchie :
à bien des égards, la Sainte-Vehme fonctionnait à la façon d’une société
secrète.
Mais
c’était surtout la justice parallèle rendue par la Sainte-Vehme qui avait
marqué les esprits et continuait à exercer une fascination morbide. Une justice
sommaire, radicale. Sanglante. Cumulant les fonctions d’accusateurs, juges et
bourreaux, ses membres rendaient des sentences expéditives à l’encontre de
toutes sortes de criminels. La Sainte-Vehme disposait d’une compétence quasi
illimitée : elle connaissait aussi bien des crimes et délits de droit
commun comme les vols, l’adultère, les violences ou les homicides, que des
atteintes au christianisme : abjurations de la foi, violations de
sépulture, dégradations d’églises, hérésies, paganisme, sorcellerie… Pour tous
ces crimes, il n’existait que deux sentences possibles : l’innocence ou la
mort. Mais les prévenus étaient généralement torturés avant d’être condamnés.
La Sainte-Vehme leur faisait subir les supplices les plus atroces : la
roue, l’écartèlement, la torture par les tenailles, les brûlures au fer rouge
ou la poix incandescente.
Et la vierge de fer.
Clayton
ouvrit un autre recueil, le feuilleta jusqu’à la page qu’il cherchait. Une
gravure représentait la salle de torture du château de Nuremberg. Il rapprocha
la lampe et examina l’illustration dans le cercle de lumière blême qu’elle
projetait.
Percé
d’une étroite ouverture armée de barreaux, le cachot du château de Nuremberg
était sombre et bas de plafond. Des crânes humains et des chaînes voisinaient
avec tous les instruments de torture imaginables : des fouets, des fers à
marquer, des tisonniers, des aiguilles, des brodequins, un pilori, une poire
d’angoisse, un billot de bois, un brise-mâchoire, un chevalet, une estrapade et
un siège à clous. Quant aux murailles de pierre, elles étaient couvertes de
dagues, de haches, de couteaux à dépecer, de cisailles, de pinces et d’autres
outils tranchants dont le contact ne devait faire aucun bien. Accroché près de
la porte, on distinguait également un masque d’infamie. Enfin se dressait au
milieu de la pièce une vierge de fer, sinistre sarcophage métallique aux parois
intérieures hérissées de pointes aiguisées. Sarcophage identique à ceux
retrouvés dans les demeures des récentes victimes londoniennes. Empaler
lentement sa proie et la laisser se vider de son sang… Il fallait vraiment haïr
pour infliger un sort aussi cruel.
Un
cri rauque dans la rue fit soudain tressaillir Clayton. Il bondit de son siège,
écarta le rideau de la fenêtre. À la lueur d’un réverbère, il aperçut un cab
immobilisé au milieu de la chaussée. Sous l’emprise de la boisson, un ivrogne
s’était presque jeté sous les roues de l’attelage. L’homme était sauf mais
avait lâché sa bouteille qui s’était brisée sur le sol. Furieux, il vitupérait
contre le cocher qui l’insultait copieusement en retour. Mécontent de
l’interruption, Clayton alla se rasseoir en grommelant et reprit sa lecture.
La
confrérie était d’autant plus redoutable qu’elle bénéficiait de la double
protection du Saint-Siège et du Saint Empire romain germanique, de l’Église et
de l’État. Nul n’échappait à son autorité ; les princes et les évêques
mêmes y
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