Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
s’offusqua Walter.
– Je
l’avais deviné, rétorqua Angelia en promenant sur la pièce simplement meublée
un regard lourd de sous-entendus.
Le rouge monta au front
de Walter.
– Si
cet endroit n’est pas digne de vous, je ne vous retiens pas !
– Il
ne l’est pas, en effet, mais je dois m’en contenter pour l’instant, s’affligea
Angelia en retournant s’asseoir péniblement sur le lit.
« Rendez
service à votre prochain, vous serez récompensé », songea Walter dont
l’humeur conciliante se dégradait à vue d’œil.
Mais
Angelia ne semblait plus disposée à se plaindre. L’air exténué, elle demeurait
immobile, les yeux rivés sur le tapis. Ce fut ce moment que choisit la mère de
Walter pour pénétrer à son tour dans la chambre. Mrs. Crane était une femme
toute en rondeurs et bienveillance. Elle avait perdu son mari quelques années
plus tôt dans des circonstances tragiques, et vouait à son fils une adoration
inconditionnelle. Aussi n’avait-elle pas émis d’objections quand il avait
ramené Angelia dans leur cottage. Elle avait en Walter une confiance
absolue : tout ce qu’il faisait était forcément juste et bon.
Sa physionomie s’éclaira
en apercevant leur invitée.
– Ma
chérie, quel soulagement de vous voir réveillée, Walter s’inquiétait beaucoup à
votre sujet.
– Mais pas du tout !
protesta-t-il.
Avant
qu’Angelia ait eu le temps de reculer, Mrs. Crane posa une main sur son front.
– Vous
allez mieux, votre fièvre a baissé, se réjouit la brave femme. Cela tombe bien,
je vous ai apporté un peu de lecture, ajouta-t-elle en posant une pile de
brochures sur le chevet.
Angelia s’empara de la
première et lut le titre à mi-voix :
– Le
Serpent chez vous…
– Ce
remarquable ouvrage ne manquera pas de vous intéresser, commenta Mrs. Crane
avec un bon sourire. C’est l’une de mes lectures favorites. Son but est de
montrer comment le Diable nous guette dans chacun de nos actes de la vie
quotidienne, même les plus anodins. Les chapitres particulièrement recommandés
aux dames sont ceux qui s’intitulent : Satan dans la brosse à cheveux, Satan
derrière le miroir, Satan dans la garde-robe, et il y en a bien
d’autres encore tout aussi édifiants…
Angelia
contemplait la brochure avec une profonde incrédulité. C’était bien sa
chance : elle ne fuyait une maison de fous que pour rentrer dans une
autre. La lecture d’un tel pensum risquait fort de la tuer encore plus vite que
son séjour à l’asile.
Elle
hésita un instant à déchirer la brochure en mille morceaux, à bondir hors du
lit, à s’emparer du couteau sur le plateau et à les occire tous les deux, la
mère et le fils, pour effacer ce sourire béat de leur visage, mais elle se
contint. Elle avait encore besoin d’eux. Du reste, elle se sentait trop faible
pour un tel effort.
Aussi
se tourna-t-elle vers Mrs. Crane pour lui adresser son plus ravissant sourire.
– Je
ne doute pas de l’intérêt de cet ouvrage, mais je me sens un peu lasse.
N’auriez-vous pas quelque chose de plus léger ? Des revues de mode par
exemple, hasarda-t-elle d’un ton plein d’espoir.
Mrs.
Crane réprima une grimace désapprobatrice. En hôtesse soucieuse d’éviter les
éclats, elle se força toutefois à cacher sa déception et à faire bonne figure
devant son invitée.
– Je
suis navrée, ma chérie, je ne possède rien de tel. Mais je suis certaine que
vous apprécierez ces brochures lorsque vous aurez recouvré vos forces.
Elle tapota gentiment le
bras d’Angelia et quitta la chambre.
– Mère est très dévote,
souffla Walter à la jeune femme lorsque Mrs. Crane fut sortie.
Mais Angelia ne
l’écoutait pas. Vaincue par l’épuisement, elle se rallongea et sombra aussitôt
dans le sommeil.
XI
Aerith
tira les rideaux pour laisser entrer la lumière et se pencha à la fenêtre.
Devant elle s’étendait la parcelle du parc consacrée aux espèces
méditerranéennes : cyprès, arbousiers, lauriers-cerises. Un vent frais
soufflait du nord, amenant avec lui l’odeur salée de la mer qui se mêlait aux
effluves des arbres, des plantes et des fleurs.
Aerith
n’était venue qu’en de rares occasions à Lynton Hall. La majeure partie du
temps, lorsqu’ils n’étaient pas en voyage sur le continent, elle et Julian
avaient vécu à Londres. C’était dans la capitale que se trouvaient les
personnes de pouvoir, celles qui étaient nécessaires à
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