Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
ouvrages, j’y ai découvert des mots ou des phrases entières
soulignés. Je ne possédais alors que quelques notions de cyrillique, mais elles
étaient suffisantes pour constater que ces mots et ces phrases mis bout à bout
formaient des messages. J’ai pu en lire certains, les plus anodins, mais la
majorité d’entre eux, c’est-à-dire tous ceux qui auraient pu compromettre
Aerith et les expéditeurs des livres, étaient codés. Afin d’être en mesure de
les déchiffrer, je me suis initié à la cryptographie. Cela m’a demandé des mois
d’efforts, mais je suis finalement parvenu à décoder la plupart des messages,
et mes pires craintes ont été confirmées. Il s’agissait essentiellement
d’ordres de mission ou de réponses à des rapports qu’Aerith avait transmis, et
dans lesquels elle fournissait à la Russie des informations relatives à la
situation politique et militaire de l’Empire britannique. Ses agissements
étaient d’autant plus graves que la guerre de Crimée battait alors son plein.
– La guerre de Crimée,
répéta Gabriel, les sourcils froncés.
Cela lui disait vaguement
quelque chose, mais il ne parvenait pas à se rappeler le moindre détail.
Julian
le regarda pour la première fois avec une stupeur consternée.
– Ne
me dis pas que tu n’en as jamais entendu parler ? Elle a coûté la vie à
vingt-cinq mille soldats anglais !
– Eh
bien… peut-être… balbutia Gabriel, rouge de confusion devant l’ampleur de son
ignorance.
– En
mars 1854, la France et la Grande-Bretagne ont déclaré la guerre à la Russie
qui menaçait l’intégrité de l’Empire ottoman.
Ainsi
avait débuté la guerre de Crimée, conflit marqué par des erreurs militaires et
logistiques aussi flagrantes que coûteuses en argent et vies humaines. Les
commandements avaient en effet rivalisé d’incompétence et d’inefficacité,
gaspillant la vie de leurs soldats dans des combats inutiles, telle la célèbre
« charge de la brigade légère », immortalisée par le poète Tennyson,
au cours de laquelle une unité britannique avait subi des pertes considérables
pendant la bataille de Balaklava en octobre 1854. En outre, le déplorable état
sanitaire régnant sur les champs de bataille avait accru le désastre. Causées
par l’eau croupie et la mauvaise hygiène, les épidémies de choléra, de typhus
et de dysenterie alliées au scorbut et à la fièvre avaient fait plus de ravages
au sein des armées que les blessures au combat. Au final, c’étaient des
centaines de milliers d’hommes qui avaient succombé en Crimée.
Le
point culminant de la guerre avait été le siège de Sébastopol, quartier général
de la flotte russe en mer Noire, par les armées franco-britanniques. La
forteresse était tombée finalement en septembre 1855, et le 30 mars 1856, la
signature du traité de Paris avait mis un terme définitif au conflit.
– Beaucoup
de gens ont perdu un proche dans cette hécatombe, souffla Julian. Un fils, un
ami, un cousin ou un époux. Moi-même…
Sa voix se brisa.
– Mon
frère cadet Edward est mort au cours du siège de Sébastopol, auquel il
participait en tant qu’officier de cavalerie.
Il fallut quelques
secondes à Gabriel pour assimiler la nouvelle.
– Tu ne m’avais jamais
parlé de lui, murmura-t-il.
– À
quoi bon ? rétorqua Julian avec lassitude. Il ne reviendra pas.
Il laissa passer un
silence avant de poursuivre :
– Nous
n’avons jamais su avec exactitude quelles informations Aerith avait fournies à
la Russie durant cette période funeste, quel rôle exact elle avait joué dans le
déroulement du conflit. Pourtant, dans l’esprit de mon père, et peut-être aussi
de ma mère, Aerith est responsable de la mort d’Edward. Et par voie de
conséquence, car c’est moi qui lui ai permis de s’introduire parmi nous et
d’utiliser le prestige lié à notre nom pour arriver à ses fins, j’en suis
également coupable. Mes parents ne me l’ont jamais pardonné. Edward était le
plus aimé de nous deux. Je suppose qu’il y en a toujours un parmi les enfants.
La règle de la primogéniture veut que ce soit le fils aîné, moi en
l’occurrence, qui hérite du titre et de l’ensemble de la fortune, mais je crois
que mon père aurait préféré que ce fût Edward. La trahison d’Aerith n’a pas contribué
à améliorer nos relations, conclut-il dans un soupir. Mon père ne manque jamais
de me rappeler qu’il s’était
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