Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

opposé à mon mariage.
    La
main de Julian se resserra sur son verre, et Gabriel crut un instant qu’il
allait le jeter dans la cheminée dans un accès de rage. Mais il se contenta de
le poser sur le guéridon et de se renfoncer dans le mutisme.
    –  Que s’est-il passé
ensuite ? demanda Gabriel.
    –  Ensuite ? fit
Julian, un peu hagard.
    –  Lorsque tu as compris
pour Aerith.
    –  Une
fois que j’ai eu les preuves de sa duplicité, il m’était impossible de
continuer à me voiler la face. Je devais mettre fin à ses agissements, mais il
me fallait le faire discrètement pour éviter que le scandale n’éclate. Et
surtout, je voulais me venger d’elle. Alors, j’ai cherché un moyen de lui
rendre au centuple le mal qu’elle m’avait infligé. Et là… j’ai perdu la raison.
    Julian
se resservit un verre de whisky d’une main fébrile, tandis que Gabriel
attendait avec appréhension qu’il s’explique.
    –  J’ai
essayé de la tuer, avoua Julian, et d’une façon épouvantable qui me remplit de
honte chaque fois que j’y repense.
    –  Que veux-tu dire ?
le pressa Gabriel.
    –  Aerith
est une femme courageuse. Je ne lui connais qu’une seule faiblesse : elle
ne supporte pas d’être confinée dans un espace clos et obscur. Lorsque nous
avons visité les catacombes à Paris, elle a fait une crise de panique, et je
peux t’assurer que cela n’avait rien d’une comédie. Aussi ai-je fomenté le
projet de l’assassiner en l’enterrant vivante… Seigneur, cela paraît tellement
ridicule et mélodramatique, dit ainsi à haute voix. Mais sur le moment je
trouvais l’idée brillante, et je ne m’imaginais rien moins que comme le bras
armé de la justice.
    Gabriel
était moins choqué que sidéré par ces révélations. Julian avait-il réellement
perdu l’esprit en apprenant la vérité sur sa femme ?
    –  Mais tu ne l’as pas
fait, finalement. Tu ne l’as pas tuée.
    Julian contemplait
pensivement l’or ambré de sa boisson.
    –  Non,
en effet. Je l’ai épargnée parce qu’elle m’a révélé attendre un enfant de moi.
    –  Laura, murmura Gabriel.
    –  Oui, Laura.
    –  Mais
l’aurais-tu vraiment laissée mourir ? chuchota le jeune homme. Si elle
n’avait pas été enceinte ?
    Julian secoua la tête.
    –  J’aimerais
te répondre que non, mais ce serait un mensonge.

IX
    Au bout du couloir
sombre, un bébé criait.
    Les
pleurs s’amplifiaient à mesure qu’il approchait de la chambre. Ils résonnaient
dans l’espace confiné de l’appartement, se répercutaient avec violence sur les
murs nus.
    Il
plaqua ses mains sur ses oreilles. Il ne voulait plus entendre ces pleurs, il
ne voulait plus entendre ces cris. Il titubait dans l’obscurité, hagard,
affolé.
    Et
soudain elle était là, marchant près de lui. Toute proche et pourtant hors
d’atteinte. Pâle, fragile. Si frêle par rapport à son corps massif. Les yeux
cernés, hallucinés. Ses longues mèches blondes en désordre. Son corsage blanc
moucheté de sang.
    Ses
lèvres bougeaient mais il n’entendait pas ce qu’elle disait. Elle tendait vers
lui une main tremblante, le regardait d’un air suppliant. Il ne pouvait le
supporter. Il reculait, faisait volte-face, tentait de s’enfuir, de quitter ces
lieux pour ne plus jamais y revenir. Mais toutes les portes étaient
verrouillées. Il était prisonnier.
    Un
éclair aveuglant, et la lumière revint. Tout près de lui, il vit le berceau. Le
bébé continuait à hurler, et ses cris perçants lui vrillaient les tympans,
menaçaient de le rendre fou.
    Sa
large main se posa sur le visage de l’enfant, le bâillonna. Le bébé s’agita, il
appuya plus fort.
    Et enfin il cessa de
pleurer…
    *
    Clayton
Blake se réveilla en sursaut, ses cheveux bruns collés à ses tempes en sueur.
    Toujours ce même rêve…
    Il
inspira profondément à plusieurs reprises, jusqu’à ce que les battements de son
cœur retrouvent un rythme normal. Son épaule droite le lançait, et il porta
machinalement la main à sa cicatrice, souvenir d’une balle reçue lors de
l’arrestation épique d’une bande de faux-monnayeurs à Birmingham l’année
précédente.
    Se
sachant incapable de se rendormir dans l’immédiat, Clayton se leva avec
l’intention de travailler sur l’affaire de la Dame Noire. Malgré le froid qui
régnait dans l’appartement, il ne prit pas la peine de ranimer le feu dans la
cheminée. Au lieu de cela, il alla directement s’asseoir à