Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
Aerith pour lui
permettre de mener à bien sa mission.
La
jeune femme se retourna vers la chambre blanc et or, à panneaux vert émeraude
et tapis vieux rose, dans laquelle un domestique l’avait menée pour y passer la
nuit, après une journée à attendre en vain une entrevue avec Julian.
Aerith
balaya d’un regard pensif les sièges recouverts de tapisserie, le large lit à
baldaquin garni d’un tissu fleuri aux tons rose et vert, identique à celui des
rideaux, les tableaux anciens, italiens et hollandais, qui couvraient les murs,
les marbres grecs et les bronzes florentins qui épanouissaient leurs courbes
pures sur les guéridons.
Sept ans plus tôt,
c’était dans une chambre semblable à celle-ci que Julian l’avait cloîtrée après
avoir voulu l’enterrer vivante. Aerith vivait alors dans une terreur
permanente. Le seul souvenir du contact rugueux du cercueil contre sa peau
suffisait à lui soulever le cœur.
Elle
avait réussi cependant à déjouer la surveillance de son mari pour s’entretenir
en tête à tête avec son beau-père. Elle savait qu’elle prenait un risque en
dévoilant à lord Rupert Westbury ses activités d’espionne ; il pouvait la
faire emprisonner sur-le-champ puis exécuter pour haute trahison. Mais elle
savait également qu’avouer la vérité à Rupert constituait son unique chance de
s’extraire du piège dans lequel elle s’était enferrée. Il serait fou de rage
contre elle, mais au final son seul souci serait d’éviter que sa famille ne
soit souillée par un scandale aussi retentissant. Aerith avait du reste une
autre carte à jouer pour s’attirer sa coopération. Elle avait l’intention de
négocier chèrement les renseignements dont elle disposait sur les autres
espions russes qui essaimaient l’Angleterre. Rupert réaliserait immédiatement
la valeur de ces informations, et la raison d’État prévaudrait sur la haine et
le dégoût que lui inspirerait sa bru. Aerith avait pris sans états d’âme la
décision de trahir son pays : après tout, elle était anglaise autant que
russe, et le fait qu’elle se soit mise au service des empereurs Nicolas I er puis Alexandre II était davantage le fruit du hasard que du patriotisme.
Confirmant
ses prévisions, lord Westbury avait compris le profit que son pays pouvait
tirer de cette situation si désastreuse de prime abord. Il avait ravalé sa
rancœur et fait taire son orgueil blessé. C’était lui qui avait réglé les
détails du divorce sans en référer à son fils et l’avait mis ensuite devant le
fait accompli. Lui encore qui avait étouffé le scandale en faisant disparaître
Aerith après la naissance de Laura. Lui enfin qui avait décidé de mettre ses
talents au service de l’Angleterre en la recrutant au sein du Foreign Office.
Aerith
avait donc quitté la famille Kingsley sans même avoir pu voir sa fille. Non pas
qu’elle ait désiré cette enfant, qui n’était rien d’autre qu’un regrettable
accident, mais elle était consciente de lui devoir la vie, et elle éprouvait à
son endroit, sinon de l’affection, du moins de la gratitude.
Plusieurs
années s’étaient écoulées depuis, et c’était à contrecœur qu’elle s’était
résolue à une nouvelle confrontation avec celui qui avait été son époux et la
terrifiait encore. Elle n’avait qu’un souhait : en finir au plus vite avec
cette pénible entrevue et s’en aller.
Le
bruit d’une clé tournant dans la serrure mit un terme à ses réflexions. Julian
entra, le visage fermé. Au grand soulagement d’Aerith qui appréhendait de se
retrouver seule avec lui, il était accompagné de Gabriel et Cassandra Ward.
– Asseyez-vous, lui
lança-t-il sèchement.
La
jeune femme observa Julian tandis que lui-même prenait place sur l’un des
fauteuils à tapisserie. Elle nota son habit gris perle superbement coupé, les
broderies au fil d’argent de son gilet de soie et sa cravate d’un blanc
immaculé. Sa mise était aussi élégante et soignée que dans son souvenir, son
expression toujours calme et noble, mais Aerith n’était pas dupe de ce masque
trompeur.
– Soyons
brefs, commença Julian d’un ton peu engageant. Que faites-vous à Lynton
Hall ?
– Je
suis venue y chercher un livre, répondit Aerith, encore moins disposée que lui
à prolonger inutilement la conversation.
– Un livre ?
– Ce
livre, ajouta-t-elle en tendant à Julian un mince ouvrage à la couverture de
cuir noir qu’elle
Weitere Kostenlose Bücher