Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
regards narquois des collègues de Jeremy, visiblement
amusés de le voir en charmante compagnie, la jeune fille s’assit sans y être
invitée tout en dénouant les rubans de son chapeau.
– Une
femme seule et non mariée de surcroît ne rend pas visite à un homme dans un tel
endroit ! se scandalisa Jeremy.
– Maintenant
que ma réputation est irrémédiablement perdue, repartit Megan, parlons de
choses sérieuses, voulez-vous ? Du reste, la nouvelle que j’apporte est
suffisamment grave pour justifier une entorse aux convenances.
À
ces mots, Jeremy l’observa plus attentivement et remarqua pour la première fois
sa pâleur.
– Que se passe-t-il ?
De quelle nouvelle parlez-vous ?
– Angelia
Killinton s’est enfuie de l’asile où elle était enfermée, annonça Megan.
– Bon
Dieu, que me dites-vous là ? Cette criminelle est en liberté ?
– Depuis
hier matin, oui. Un médecin de l’asile est venu à la maison pour prévenir
Cassandra. Après son départ, j’ai envoyé un message dans le Devonshire.
Cassandra ne devrait pas tarder à rentrer à Londres.
– Nous
aurions dû nous débarrasser définitivement de cette furie lorsque nous en
avions l’occasion, grogna le journaliste.
– Ce
n’est pas tout, ajouta Megan. Le médecin était accompagné de deux policiers.
Lors de sa fuite, Angelia a tué une infirmière qui tentait de s’interposer.
– Bon Dieu ! répéta
Jeremy.
– Ce
qui m’étonne, poursuivit la jeune fille sans s’émouvoir, c’est le silence de la
presse sur le sujet. À ma connaissance, aucun journal n’a évoqué son évasion.
– Pensez-vous !
Tous les journalistes du pays ne sont obnubilés que par la Dame Noire. Et puis,
personne en dehors de nous n’est au courant du passé criminel d’Angelia,
pourquoi la presse s’intéresserait-elle à une simple démente qui bat la
campagne ? Quoi qu’il en soit, je vais essayer d’écrire un article pour
l’édition de demain.
– Pourrait-elle
vouloir… se venger de nous ? interrogea Megan après un silence.
– Comment
savoir ? grommela Jeremy en triturant les poignets tachés d’encre de sa
chemise.
Ce
fut alors que le regard de Megan tomba sur la feuille de papier posée devant le
reporter, au milieu de piles désordonnées de revues, d’imprimés, de plumes, de
crayons et de bouteilles d’encre.
– Qu’est-ce
donc que l’Astrum ? s’enquit-elle, intriguée, en tendant la main vers
le document.
– Ce
n’est pas votre affaire ! la rabroua-t-il fort peu galamment en
s’empressant de cacher la feuille sous un amas d’indicateurs de chemins de fer.
– Eh
bien je ne vais pas vous déranger davantage, conclut Megan en se levant et
rajustant son manteau. Au fait, ajouta-t-elle, comme traversée par une idée
subite, avez-vous pu soumettre à Clayton Blake mon invitation à dîner ?
Jeremy manqua choir de
sa chaise.
– Comment
pouvez-vous songer à vous amuser dans un moment pareil ? Je doute fort que
Cassandra soit d’humeur à recevoir à son retour !
– Justement,
argumenta Megan, j’ai pensé qu’en ces tristes circonstances un dîner nous
changerait les idées.
– Je
crois que la frayeur vous a fait perdre la tête, déclara Jeremy d’un ton
apitoyé. Je ne vous le reproche pas, du reste, cette situation est très
éprouvante pour une jeune fille comme vous, d’autant qu’Angelia Killinton vous
avait enlevée pour faire pression sur sa sœur. Quoi qu’il en soit, vous devriez
rentrer chez vous et ne plus en sortir jusqu’à ce que la police la retrouve.
Vous ne sauriez vous montrer trop prudente.
Megan
doutait qu’Angelia se fasse jamais attraper, mais elle hocha docilement la
tête.
– Moi-même ne puis rester
avec vous pour vous protéger, ajouta Jeremy, l’air faraud. J’ai trop d’articles
à finir pour le journal.
Megan
faillit s’étouffer de rage, mais, au prix d’un effort quasi surhumain, parvint
à adresser à Jeremy un sourire crispé.
– C’est
très aimable à vous, marmonna-t-elle. Je vais suivre votre conseil et rentrer à
la maison.
« Quel
fat », pesta-t-elle en gagnant la porte de la salle de rédaction sous les
regards curieux des collègues de Shaw. Leur entrevue l’avait contrariée, et son
humeur ne s’arrangea pas lorsqu’elle sortit des locaux du London
City News et découvrit qu’une averse drue s’était mise à tomber.
Les jours de pluie, la ville entière pataugeait dans
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